À quoi donc les Psaumes peuvent servir pour le chrétien du 21ème siècle ?

 

Dans les articles précédents (ici et ici), nous avons mis en relief la structure générale du livre des Psaumes et de son message global qui s’articule en cinq livres. Nous avons aussi montré l’importance de saisir la double perspective donnée par la lecture des psaumes 1 et 2 dans la compréhension de la suite du livre des Psaumes. Nous allons maintenant nous poser la question de la pertinence des Psaumes pour le chrétien aujourd’hui.

En effet, quel rapport y a-t-il entre la prière d’un roi juif ou d’un serviteur du temple de Jérusalem et un jeune chrétien occidental vivant à Paris, Washington, ou Varsovie ? En quoi les préoccupations et les déboires de David peuvent-ils avoir quelque chose à voir avec ma vie d’étudiant ou d’employé ?

 

 

L’universalité du cri de l’âme humaine

Une partie de la réponse à ces questions se trouve dans le fait que tous les hommes ont été créés en l’image de Dieu (Gn 1.26) et que tous sont affectés par les effets du péché dû à la faute d’Adam et Ève – les premiers homme et femme – dans le jardin d’Éden. À cause de cette faute, l’humanité a chuté. Le péché, avec tout son cortège de souffrance, de honte, de peur, de culpabilité, de rébellion, et de mort est entré dans le monde. L’endroit où nous vivons, peu importe le lieu ou le temps, est déchu. Les soucis qui affligeaient David à son époque sont encore les mêmes aujourd’hui. Il suffit de mentionner l’adultère ou la maladie. Voilà le lot quotidien de l’homme depuis sa sortie d’Éden et ce, jusqu’à la seconde venue de Jésus en gloire.

Ainsi, même si la culpabilité de David liée à sa faute est sa culpabilité propre, il n’empêche que moi aussi j’expérimente la culpabilité. Bien que mon contexte soit différent de celui du roi David, le sentiment de culpabilité, lui, ne change pas. Je peux donc m’approprier le cri de repentance du roi. À travers notre humanité commune, son expression de culpabilité particulière devient celle de toutes les expériences de culpabilité. Dans son commentaire sur les Psaumes, Jean Calvin écrit qu’ « aucune infirmité que l’on peut trouver en nous n’y est cachée »[1]. Il ajoute : « J’ai coutume de nommer ce livre une partie de l’anatomie de l’âme car il n’y a pas une affection en l’homme qui n’y soit représentée comme dans un miroir »[2].

 

 

L’école de la prière

Martin Luther a écrit : « Comme Jésus a donné le Notre Père, Dieu a donné les Psaumes dans l’Ancien Testament avec 150 exemples »[3]. Dieu donne des modèles, par l’Esprit, pour que l’on sache comment le prier. Le psautier est donc pour nous une école de la prière. Les Psaumes nous ont aussi été donnés par Dieu pour que nous apprenions à prier avec plus d’audace[4]. De plus, comme les Psaumes sont privés d’indications historiques, ils peuvent par conséquent être continuellement utilisés dans l’adoration[5]. Nous retrouvons en cela cette dimension universelle de l’expérience des psalmistes. Jean Calvin affirme qu’ « il n’y a aucun autre livre où soient récitées tant de délivrances, ni auquel les témoignages et expériences de sa Providence et sollicitude paternelle envers nous ne soient manifestés »[6]. Il ajoute que « nous y trouverons les louanges générales de la bonté de Dieu, lesquelles enseignent aux hommes de se reposer en lui seul, et y prendre tout leur contentement, afin que les fidèles de tout leur cœur attendent de lui en toutes leurs nécessités un secours assuré »[7].

Contrairement à ce que nous entendons souvent dans nos Églises évangéliques, une prière écrite ne vaut pas moins qu’une prière spontanée[8]. Louis Schweitzer écrit que les Psaumes sont comme la grammaire, la gamme, de la prière biblique[9]. Selon lui, ils nous permettent d’élargir notre prière pour être plus « vrais » devant Dieu. Luther écrit aussi que « quiconque commence à prier les Psaumes, sérieusement et régulièrement, ne tardera pas à abandonner ces autres petites prières, faciles et pieuses, en avouant : ‘Elles n’ont pas la saveur, la force, la chaleur et le feu que je trouve dans le Psautier ; elles sont trop froides et dures au goût’ »[10]. Quant à Dietrich Bonhoeffer, il écrit dans son livre de prières de la Bible que les Psaumes nous permettent d’apprendre le langage du Père. Il explique que « reprenant les propres paroles de Dieu nous commençons à le prier. Dieu nous écoute si nous utilisons pour lui parler, non le langage confus et faux de notre cœur, mais celui clair et pur que lui-même a utilisé pour nous parler »[11]. Il ajoute que les Psaumes sont « la parole qu’il nous adresse et la parole qu’il veut nous entendre lui dire »[12].

Cependant, une difficulté demeure pour le chrétien. En effet, comment lire les Psaumes aujourd’hui ? Que signifie pour nous une expression telle que « monter à Sion »[13] ? Matthieu Richelle explique que nous devons prendre en compte quatre choses lorsque nous lisons ce genre d’expression : 1) le genre littéraire du psaume, 2) sa dimension sapientiale et messianique, 3) le rôle des circonstances dans son utilisation (lu, prié, chanté), 4) et le caractère structuré du psautier[14]. Ainsi, pour les chrétiens non-Juifs du XXIème siècle, les références au roi, au temple, à Sion, etc., sont à prendre en compte de manière typologique, les Psaumes nous enseignant par anticipation des vérités célestes par le biais de manifestations terrestres[15]. Il écrit également que « les réalités de la nouvelle alliance s’expriment parfois avec le même vocabulaire que l’ancienne ». De fait, le chrétien peut aussi « passer du temps dans le temple du Seigneur » partout où la présence de Dieu se rend manifeste par son Esprit[16]. Nous ne sommes donc pas, en tant que chrétiens modernes, dans la nécessité d’abandonner ce type de vocabulaire sous prétexte qu’il serait dépassé ou non contextuel, déconnecté de notre réalité présente.

 

 

Les Psaumes et Christ

Un dernier point spécifique concernant le chrétien dans sa lecture et son utilisation des Psaumes touche à la personne de Jésus-Christ. Quelle lecture chrétienne faire des Psaumes juifs ? Selon Christophe Paya, l’expérience du psalmiste trouve son intensification dans l’expérience du Christ. C’est donc « au travers » du Christ que nous entrons en contact et actualisons l’expérience du psalmiste[17]. Cela signifie que, pour nous qui vivons de l’autre côté de la croix, notre expérience des Psaumes va plus loin que celle du psalmiste. En effet, dans le Nouveau Testament, Christ et les apôtres nous dévoilent les réalités qui étaient encore voilées dans la lecture juive des Psaumes. Le Nouveau Testament nous apprend également que c’est au nom du Christ que nous devons prier. Ainsi, paradoxalement, le chrétien peut prier les Psaumes « après » le Christ mais aussi les adresser « au » Christ[18].

Bonhoeffer va très loin dans son explication christologique des Psaumes. Il explique que les prières que faisait David, c’est le Christ lui-même qui les disaient en David (He 2.12, 10.5 ; 2S 23.2ss)[19]. De ce fait, « la parole humaine devient parole divine, et si nous prions avec lui sa prière, la parole divine se transforme à son tour en parole humaine »[20]. Ainsi, «  toutes les prières de la Bible sont des prières que nous disons avec Jésus, dans lesquelles il nous entraîne et nous amène devant la face de Dieu ». Les prières adressées à Dieu sont la parole même de Dieu. Il ajoute : «  L’essentiel n’est donc pas que les Psaumes expriment ce que nous ressentons sur le moment dans notre cœur. Peut-être même est-il nécessaire, pour bien prier, de prier contre notre propre cœur. Ce n’est pas ce que nous voulons dire dans nos prières qui est important, mais ce que Dieu veut entendre dans les prières que nous lui adressons. Si cela ne dépendait que de nous, nous serions sans doute souvent tentés de ne dire que la quatrième supplique du Notre Père. Mais Dieu est d’un autre avis. Ce n’est pas la pauvreté de notre cœur qui doit dicter notre prière, mais la richesse de la parole de Dieu ». Il poursuit son explication en écrivant que « par le psalmiste, c’est le Fils de Dieu fait homme qui déverse ici, devant Dieu, le cœur de toute l’humanité »[21].

Cette centralité du Christ dans notre utilisation chrétienne des Psaumes est pour Bonhoeffer primordiale. En effet, il met en lumière ce qui pourrait sembler à première vue un problème : « Dieu lui-même comme celui qui prie et Dieu qui exauce la prière, ce problème n’est résolu qu’en Jésus-Christ »[22]. La spécificité de la prière chrétienne est qu’elle passe par un médiateur qui intercède pour nous : « en son nom ». Ainsi, « la prière chrétienne n’existe que sur la base de la parole de Dieu prononcée en Jésus et sur celle de l’intercession éternelle de Jésus pour sa communauté »[23]. Pour Bonhoeffer, les Psaumes ont par conséquent un double mouvement, puisqu’il « s’agit de comprendre et de prier les Psaumes comme les prières de Jésus-Christ dans sa communauté ou comme les prières de l’assemblée au nom de Jésus-Christ »[24]. Il développe cette idée en écrivant que « le Psautier est la prière de suppléance du Christ pour son Église. Et maintenant qu’il est auprès du Père, c’est la nouvelle humanité du Christ, son corps sur la terre, qui continue sa prière jusqu’à la fin des temps. Ainsi, cette prière n’appartient pas à un membre particulier, mais à l’ensemble du corps du Christ.

C’est seulement en lui comme un tout que vit tout ce dont parle le Psautier et que l’individu isolé ne saurait jamais totalement comprendre ni faire sien. C’est pourquoi la prière du Psautier appartient à la communauté de manière particulière. Si tel verset ou tel psaume ne peut pas être ma prière propre, c’est pourtant celle d’un autre dans la communauté, ainsi elle est très certainement la prière de l’être humain authentique, Jésus-Christ, et de son corps sur la terre »[25].

Il soulève un dernier point qu’il est important de souligner dans cette interprétation christologique des Psaumes. Il y a en effet une difficulté avec ce que nous appelons les psaumes de repentance, appelés aussi par Luther « psaumes pauliniens » (Ps 6, 32, 38, 51, 102, 130, 143)[26]. En effet, comment Christ pourrait se repentir dans ces psaumes, lui qui est sans péché ?

Nous devons comprendre cela selon le principe de l’analogie de la foi. Autrement dit, nous devons tenir compte de l’ensemble de l’enseignement de la Bible sur la personne du Christ. Jésus ne prie pas dans ces psaumes pour ses propres péchés, mais « en s’identifiant à nous, il prie pour nos péchés »[27]. Bonhoeffer argumente en écrivant que « les Psaumes sont paroles du Christ dans un sens général mais pas dans chaque détail car Christ sans péché ne peut confesser son péché »[28]. Par conséquent, « seules s’appliquent à Christ d’une manière absolue les paroles reprises dans le Nouveau Testament ». Christ peut confesser des péchés dans le sens qu’il s’identifie à l’humanité. Ce ne sont pas ses péchés qu’il reconnaît mais ceux qui lui sont imputés : il parle « en notre nom ».

 

 

Conclusion

Finalement, les Psaumes nous parlent autant à nous aujourd’hui qui sommes chrétiens qu’ils parlaient aux Juifs du temps de David ou de l’exil. Cette dimension universelle des expériences vécues est sans aucun doute ce qui explique que le livre des Psaumes soit autant apprécié de tout temps et par tous les croyants. Ce livre nous reprend et nous enseigne d’une manière toute particulière car il parle directement à notre âme. Il nous pousse à nous adresser à Dieu alors que paradoxalement il est aussi la parole de Dieu lui-même. En lisant les Psaumes, nos voix se mêlent tout en même temps à celle du psalmiste, de Dieu, et du Christ.

Les Psaumes sont autant une parole que nous avons à entendre qu’une parole que nous avons à dire[29]. Les Psaumes nous appellent à une communion profonde et réelle avec Dieu. Ils sont un baromètre de notre âme. Bonhoeffer explique encore : « À la question : comment prierais-je ce qui m’est encore si incompréhensible ? On répond : comment comprendre ce que tu n’as pas encore prié ? Ce n’est pas notre prière qui jauge le psaume, c’est l’inverse »[30].

Je terminerais avec cette magnifique citation d’Alcuin qui nous montre la pertinence du Psautier pour nous encore aujourd’hui :

« Dans les Psaumes tu trouveras […] si tu cherches avec soin et une pensée attentive, une prière plus intense que celle à laquelle tu pourrais parvenir si tu étais livré à toi-même. Dans les Psaumes, tu trouveras une confession intense de tes péchés, et la parfaite prière pour le pardon et la grâce de la part du Seigneur notre Dieu. Et dans les Psaumes tu trouveras une action de grâces intense pour toutes les choses qui peuvent t’arriver. Dans les Psaumes tu confesseras ton péché et ta misère et tu chercheras pour toi-même la miséricorde de Dieu. Car tu trouveras toute la puissance spirituelle dans les Psaumes si tu as été rendu digne par Dieu que les secrets des Psaumes te soient révélés »[31].

 

 

 

 

 

Notes et références :

[1] J. Calvin, Commentaire des Psaumes : Tome premier, Librairie de Ch. Meyrueis et Compagnie, Paris, 1839, p. VII.

[2] Ibid., p. VI.

[3] G. Kwakkel, Cours Ancien Testament 1.06, Faculté Libre de Théologie Jean Calvin, Aix-en-Provence, 2018.

[4] M. Sanders, Introduction à l’Herméneutique, Édifac, Vaux-sur-Seine, 2015, p. 164.

[5] B. Waltke, Théologie de l’Ancien Testament, Excelsis, Charols, 2012, p. 226.

[6] J. Calvin, op. cit., p. VII.

[7] Ibid.

[8] L. Schweitzer, « Les Psaumes, guide de spiritualité », Redécouvrir les Psaumes, p. 222.

[9] Ibid., p. 223.

[10] C. Paya, « Chanter, prier, prêcher les Psaumes », Redécouvrir les Psaumes, p. 275.

[11] D. Bonhoeffer, De la Vie Communautaire et Le Livre de Prières de la Bible, Labor et Fides, Genève, 2002, p. 108.

[12] Ibid., p. 108.

[13] M. Richelle, « Comment lire les Psaumes aujourd’hui ? », Redécouvrir les Psaumes : Actes du Colloque 2012 à Vaux-sur-Seine, collection Interprétation, Excelsis, Édifac, Charols, Vaux-sur-Seine, 2015, p. 243.

[14] Ibid., p. 251.

[15] Ibid., p. 257.

[16] Ibid., p. 257-258.

[17] C. Paya, op. cit., p. 263.

[18] Ibid.

[19] D. Bonhoeffer, op. cit.., p. 110.

[20] Ibid., p. 109.

[21] Ibid., p. 111.

[22] Ibid., p. 137.

[23] Ibid., p. 137-138.

[24] Ibid., p. 138.

[25] Ibid., p. 46.

[26] Ibid., p. 128.

[27] Ibid.

[28] Ibid., p. 138.

[29] Ibid., p. 136.

[30] Ibid.

[31] L. Clémenceau, « Les Psaumes dans le christianisme avant l’époque de la Réforme », Redécouvrir les Psaumes : Actes du Colloque 2012 à Vaux-sur-Seine, collection Interprétation, Excelsis, Édifac, Charols, Vaux-sur-Seine, 2015, p. 69.

 

 

 

 

 

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Renaud Genevois est pasteur à l’Église Perspectives de Colmar. Avant cela, il a été enseignant dans des écoles chrétiennes durant plusieurs années. Il a étudié à l’Institut Biblique de Genève et à l’Institut Supérieur Protestant à Guebwiller. Il prépare actuellement un master de théologie à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Renaud est allé plusieurs fois en Afrique enseigner dans un institut biblique et former des enseignants chrétiens. Il écrit régulièrement pour le Bon Combat.