La souffrance de Henry Martyn et la gloire de Dieu

 

Henry Martyn naquit en Angleterre le 18 février 1781. Son père étant assez fortuné, il envoya son fils dans une école réputée, puis à l’université de Cambridge dès 1797, alors qu’il n’avait que seize ans. Quatre ans plus tard, Martyn obtint une licence avec mention très bien en mathématique, et l’année suivante la même distinction en composition de prose latine.

Plus jeune, il s’était détourné de Dieu et, au cours de cette période de réussite universitaire, il perdit de vue son rêve et sombra dans le désenchantement : « J’avais obtenu ce que je désirais le plus au monde, mais j’eus la surprise de découvrir que j’avais attrapé une ombre ». Le trésor du monde avait rouillé entre ses mains. La mort de son père, les prières de sa sœur, les pieux conseils d’un pasteur et le journal intime de David Brainerd le conduisirent à s’agenouiller en signe de soumission à Dieu. En 1802, il prit la décision de renoncer à une vie de confort et de prestige universitaire pour devenir missionnaire. C’était la première fois qu’il prenait la mesure de la valeur du royaume dans sa vie.

Martyn fut l’assistant de Charles Simeon, le grand prédicateur évangélique de Trinity Church de Cambridge, jusqu’à son départ pour l’Inde le 17 juillet 1805. Il allait servir comme aumônier au sein de la Compagnie anglaise des Indes orientales. Il arriva à Calcutta le 16 mai 1806 et, dès son premier jour à terre, il rencontra William Carey.

Alors que Martyn était anglican évangélique, Carey était baptiste, ce qui ne manqua pas de créer une certaine tension concernant la liturgie à utiliser. Il n’empêche que Carey écrivit cette année-là : « Il est arrivé dernièrement un jeune pasteur, M. Martyn, qui est habité d’un esprit véritablement missionnaire. […] Nous aimons à nous consulter l’un l’autre et c’est en amis que nous allons à la maison de Dieu ».

Parallèlement à ses obligations d’aumônier, Martyn se consacrait assidûment à la traduction. En mars 1808, soit en l’espace de deux ans seulement, il avait déjà traduit en « hindoustani » une partie du Book of Common Prayer, un commentaire sur les paraboles et l’intégralité du Nouveau Testament. Il fut ensuite chargé de superviser la version persane du Nouveau Testament. Mais celle-ci ne reçut pas un accueil aussi favorable que la précédente et sa santé en fit les frais. Il décida donc de rentrer en Angleterre afin de retrouver des forces et d’emprunter la voie de terre en passant par la Perse, dans l’espoir de pouvoir réviser sa traduction en chemin.
Cependant, sa santé empira tellement qu’il eut de plus en plus de mal à poursuivre son voyage. Il mourut au milieu d’étrangers, dans la ville de Tokat, en Turquie asiatique, le 16 octobre 1812. Il était âgé de trente et un ans.

 

 

La souffrance cachée de Martyn

Ce bref survol de la vie de Martyn ne rend pas compte des conflits intérieurs et des chutes de moral qu’il connut et qui sont une source d’inspiration très concrète pour les êtres de chair et de sang que nous sommes. Je suis persuadé que si la vie et le journal intime de David Brainerd et le journal intime et la correspondance d’Henry Martyn continuent d’inspirer si profondément l’engagement missionnaire, c’est parce que ces écrits dépeignent la vie de missionnaire, non pas comme un long fleuve tranquille, mais comme une existence dans laquelle l’âme est en proie à un combat permanent. Leur souffrance et leur lutte nous permettent réellement de toucher du doigt la suprématie de Dieu dans leur vie.

Voici ce que ressentait Martyn à bord du bateau qui l’emmenait en Inde :

J’avais bien du mal à me concentrer sur les choses de Dieu. Je me sentais davantage mis à l’épreuve par les désirs du monde qu’au cours des deux années précédentes. […] Le mal de mer et l’odeur du bateau me donnaient la nausée et la perspective de laisser tout le confort et la communion des saints en Angleterre, de m’en aller vers un pays inconnu, et d’être si mal dans mon corps et mon âme en compagnie d’hommes impies pendant de si longs mois, pesait lourdement sur mon moral. Mon cœur était quasiment sur le point de se déchirer.

 

À tout cela s’ajoutait une histoire d’amour. Martyn était en effet amoureux de Lydia Grenfell et il avait estimé qu’il n’était pas juste de l’emmener : il se devait d’abord de la précéder et de prouver qu’il s’en remettait à Dieu seul. Mais deux mois après son arrivée en Inde, le 30 juillet 1806, il lui écrivit pour la demander en mariage et la prier de le rejoindre.

Il attendit sa réponse pendant quinze mois (!). Voici ce qu’il écrivit dans son journal pour le 24 octobre 1807 :

Triste journée ; reçu enfin une lettre de Lydia, dans laquelle elle refuse de venir, parce qu’elle n’a pas obtenu l’accord de sa mère. La peine et la déception ont tout d’abord semé la confusion dans mon âme ; mais peu à peu, à mesure que mon trouble s’estompait, mes yeux se sont ouverts et ma raison a repris sa fonction. J’étais forcé de reconnaître avec elle que cela ne serait pas à la gloire de Dieu, et que nous ne pourrions nous attendre à sa bénédiction, si elle désobéissait à sa mère.

 

Le même jour, il prit sa plume et écrivit :

Bien que mon cœur soit déchiré par la peine et la déception, je n’écris pas pour t’accuser. La rectitude de toute ta conduite te met à l’abri de la critique. […] Hélas, mon cœur se rebelle – quelle tempête m’agite ! J’ignorais que j’avais si peu progressé dans l’acquisition d’un esprit de résignation face à la volonté divine.

 

Pendant cinq ans, il conserva l’espoir que la situation change. Un flot régulier de lettres parcourait les milliers de kilomètres qui séparaient l’Inde et Angleterre. La dernière lettre qu’on a de lui, écrite deux mois avant sa mort (le 28 août 1812), était adressée comme d’habitude à « Ma très chère Lydia ». Elle se terminait par ces mots :

Il n’y aura bientôt plus lieu pour nous de recourir à la plume et l’encre ; j’ai au contraire bon espoir de te voir prochainement face à face. Avec toute mon affection à tous les saints.
Reçois mes sentiments les plus fidèles et affectueux, sachant que je suis à toi à jamais,
H. Martyn

 

Martyn ne la revit jamais sur cette terre. Mais la mort n’était pas sa plus grande crainte, pas plus que revoir Lydia n’était son désir le plus cher. Sa passion était de faire connaître la suprématie du Christ dans tous les aspects de la vie. Dans les tout derniers moments de sa vie, il écrivit : « Que me soit donnée la vie ou la mort, puisse le Christ être glorifié en moi ! S’il a du travail pour moi, je ne puis mourir ». Martyn avait accompli le travail que le Christ avait prévu pour lui – et il l’avait bien fait. Les pertes et la souffrance qu’il endura seront à jamais un puissant témoignage de la place centrale de Dieu dans sa vie.

 

 

«  Tout appel du Christ conduit à la mort  »

Une part de souffrance correspond à l’appel de tout croyant, mais particulièrement de ceux que Dieu appelle à apporter l’Évangile aux peuples non atteints. Les célèbres paroles de Dietrich Bonhoeffer sont tout à fait bibliques : « La croix n’est pas le terrible aboutissement d’une vie pieuse et heureuse, mais elle est dressée au commencement de la communion avec Jésus-Christ. Tout appel du Christ conduit à la mort ». Il s’agit simplement là d’une paraphrase de Marc 8 : 34 : « Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il renonce à lui-même, qu’il se charge de sa croix et qu’il me suive ! » Prendre une croix et suivre Jésus, cela signifie rejoindre Jésus sur le chemin du Calvaire en ayant pris la résolution de souffrir et de mourir avec lui. La croix n’est pas un fardeau à porter ; c’est un instrument de supplice et de mise à mort. Cela revient à dire : « Prends ta chaise électrique et suis-moi jusqu’à la salle d’exécution », ou bien : « Ramasse cette épée et va te faire décapiter avec », ou encore : « Ramasse cette corde et apporte-la à la potence ».

La banalisation de la croix du chrétien en bisbilles conjugales et autres petits bobos enlève son aspect radical à l’appel du Christ. À quoi appelle-t-il chaque croyant ? À « renoncer à tous ses biens » et « détester sa propre vie » (Luc 14 : 33, 26 – NBS), pour emprunter le chemin de l’obéissance avec joie, quels que soient les sacrifices ici-bas. Suivre Jésus signifie que chaque fois que l’obéissance l’exige, nous accepterons la trahison, le rejet, les railleries, les coups, la crucifixion et la mort. Jésus nous donne l’assurance que si nous sommes prêts à le suivre sur le chemin de Golgotha tous les Vendredis saints de cette vie, nous ressusciterons aussi avec lui le jour de Pâques. « En effet, celui qui voudra sauver sa vie la perdra, mais celui qui la perdra à cause de moi et de la bonne nouvelle la sauvera » (Marc 8 : 35). «  Celui qui déteste sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle » (Jean 12 : 25).

 

– Extrait de John Piper, Que les Nations se réjouissent : Dieu au coeur de la mission (BLF, 2015). À vous procurer ici.

 

 

 

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