La distinction entre Église visible et invisible se retrouve-t-elle dans les Écritures ?

Après avoir introduit la question dans un premier article, nous nous sommes interrogés sur l’évolution de la distinction entre Église visible et invisible dans l’histoire de l’Église. Dans cet article, nous nous intéressons au témoignage des Écritures : peut-on y retrouver la trace de cette distinction ?

 

 

3- Fondements bibliques

Maintenant que nous avons vu ce que nous entendions en parlant d’église visible et invisible, et que nous avons survolé historiquement la manière dont cette doctrine s’est développée pour asseoir ses fondements théologiques, nous devons nous poser la question de savoir si cette distinction se justifie au regard de la Parole de Dieu qui reste pour nous notre seule source d’autorité et notre norme du fait de son inspiration par le Saint-Esprit.

Le premier point que nous pouvons mentionner, au regard de son importance pour cette doctrine, est la parabole de Jésus sur le bon grain et l’ivraie (Mt 13.24-30). Cette parabole enseigne qu’au milieu du champ dans lequel un homme avait planté de bons grains, son ennemi était venu planter de l’ivraie (une mauvaise herbe). Mais l’homme qui était sage, dit à ses serviteurs de laisser les deux plantes grandirent l’une à côté de l’autre, et que le tri se fera au moment de la récolte. Selon Calvin, cette parabole a été donnée par Jésus pour nous enseigner que dans l’église visible (le champ), se côtoient aussi bien des rachetés (le bon grain) que des hypocrites (l’ivraie). Mais cela doit en être ainsi dans ce temps eschatologique de l’église, car le tri se fera au Jour du Jugement (la moisson), où les uns rejoindront Christ dans sa gloire et où les autres seront jetés en enfer pour l’éternité. Pour Calvin, cette parabole enseigne donc la mixité de l’église institutionnelle. Toutefois, nous pouvons relever deux problèmes herméneutiques.

Premièrement, cette parabole ne suffit pas à elle seule à nous enseigner sur l’église visible, car une parabole ne peut pas avoir à elle seule un caractère doctrinal normatif du fait de son genre littéraire. Et deuxièmement, ce qui semble encore plus problématique, c’est que Jésus donne cet enseignement en rapport avec le Royaume de Dieu (Mt 13.24), et non avec l’Eglise.  En effet, le Royaume de Dieu et l’Eglise sont deux réalités, qui bien qu’elles soient liées, sont tout de même différentes. L’Eglise, en tant qu’ensemble du peuple spirituel de Dieu, représente le peuple du Royaume, mais pas le Royaume en lui-même. L’Eglise n’est donc qu’une partie du Royaume de Dieu. S’il est vrai que cette parabole peut s’interpréter dans ce sens en ce qui concerne le Royaume de Dieu, nous pouvons alors dire qu’analogiquement, l’Eglise étant une partie du Royaume, alors elle peut s’interpréter également comme cela pour l’église visible.

Mais cela ne suffit pas. Y a-t-il donc d’autres passages plus normatifs qui enseignent la même chose ?

La réponse est oui. En effet, nous pouvons lire chez l’apôtre Paul que certains membres de l’église visible, comme Hyménée et Phylète sont sortis de l’église institutionnelle pour s’opposer à l’Evangile (2Tm 2.17-18). Et pire, nous pouvons lire dans la même épître que Démas, le propre collaborateur de Paul – probablement pendant plusieurs années – est lui-même parti pour retourner vivre dans le « monde » (2Tm 4.10, cf. Col 4.14 ; Phm 24). Cela montre bien que tous ne sont pas régénérés dans l’église visible. D’autres passages enseignent également que dans l’église se trouvent des loups déguisés en brebis (Mt 7.15-16 ; Ac 20.29-30). Que des antichrists sont sortis des rangs de l’église, « afin qu’il soit manifeste que tous ne sont pas des nôtres » (1Jn 2.19). De même, le discours de Jean-Baptiste ne laisse pas entendre autre chose qu’un tri aura lieu à la fin de toute chose (Mt 3.7-12).

Jésus enseigne également à ce sujet dans la parabole du cep et des sarments, où il appelle ses disciples à rester unis à lui, car les sarments qui ne porteront pas de fruits seront retranchés et brûlés (Jn 15.1-8). Et il aura même ces paroles terribles dans le Sermon sur la Montagne, où il enseigne à ses disciples qu’au Jour de son Retour, certains lui diront « Seigneur, Seigneur », mais qu’il leur répondra qu’il ne les a jamais connu (Mt 7.22-23). Et également quand il dira que « beaucoup sont appelés, mais que peu sont élus » (Mt 22.14).

Nous voyons donc ici la Bible qui nous enseigne la réalité de la mixité de l’église visible.

 

Mais que nous dit-elle sur l’Eglise invisible ? En effet, nous avons vu dans les passages précédant que de véritables croyants se trouvaient aux côtés des non-croyants dans l’église. Pourtant à l’œil nu, ils sont impossibles à différencier (sauf en ce qui concerne certains cas grossiers et certains fruits de la sanctification bien entendu). Mais l’Ecriture dit que Dieu seul connaît qui sont les siens (2Tm 19). Et il est intéressant de relever que ce verset se trouve juste à la suite de ce que nous avons vu précédemment. Un autre passage important montre que tous ceux qui ont été élus ont reçu comme gage le Saint-Esprit (Ep 1.13-14). Cette marque invisible n’est donc pas pour tous. C’est d’ailleurs parce que tous les croyants ont reçu le même Esprit qu’ils forment un seul corps (Ep 4.4) dont Christ est la tête (Ep 4.15-16). Ils sont l’assemblée (ékklêsia) des premiers-nés inscrits dans le ciel (He 12.22-23). Ils sont le peuple spirituel de Dieu, une maison spirituelle faite de pierres vivantes dont Christ est la pierre angulaire (1P 2.5-10). Paul ira dans le même sens en disant que l’Eglise est l’ensemble des rachetés (individuellement et collectivement) qui forme le Temple de Dieu (1Co 3.16-17, 6.19-20 ; 2Co 6.16 ; Ep 2.21-22).

Et en continuant sur cette symbolique de la pierre angulaire, Paul montre dans ce passage que l’Eglise a été bâtie sur le fondement des apôtres, mais aussi des prophètes (Ep 2.19-20). Il y a donc un lien entre les croyants de l’Ancien et du Nouveau Testament. L’auteur de l’épître aux Hébreux dit bien que c’est par la même foi que les chrétiens que les croyants de l’Ancienne Alliance ont été justifiés, et qu’il ne fallait pas qu’ils arrivent à la perfection sans nous (He 11.39-40). De plus, Paul utilise de nombreuses fois l’exemple d’Abraham pour nous parler de notre justification en Christ (Rm 4 ; Ga 3.13-14). Il enseigne également clairement la continuité entre les juifs et les non-juifs qui entrent dans la Nouvelle Alliance (Rm 2, 9-11 ; Col 2). Il ira même jusqu’à appeler l’Eglise « l’Israël de Dieu » (Ga 6.16). Ce lien se retrouve même au niveau du vocabulaire, car le mot grec ékklêsia traduit le mot hébreu qua’alqui veut dire assemblée, communauté, et qui représente dans l’Ancien Testament les juifs en tant que peuple mis à part pour Dieu. C’est d’ailleurs comme cela que la Septante traduira ce mot. Il n’y a donc pas de nouveauté ontologique de l’Eglise qui représente « le reste » du véritable Israël annoncé par les prophètes (Es 10.20-22).

Il y a donc bien une Eglise invisible qui regroupe l’ensemble des croyants de tous les temps, une continuité entre Israël et l’Eglise qui est le véritable Israël spirituel de Dieu.

Mais il y a également discontinuité. L’ékklêsia des juifs de l’Ancien Testament deviendra la sunagôgê du Nouveau. Si avant il suffisait de naître juif pour être considéré comme juif, il ne suffit plus de naître dans l’église pour faire partie de l’Eglise. L’entrée dans le peuple de Dieu ne se fait plus par l’ethnie, mais par la foi. Ce n’est plus une descendance charnelle, mais une descendance spirituelle (Ga 3.11-14).

Nous voyons donc bien que la Bible confirme ces enseignements sur l’Eglise visible et invisible, et nous met bien en garde de ne pas nous tromper nous-mêmes, car comme tout Israël n’est pas Israël (Rm 9.6), ainsi toute l’église n’est pas l’Eglise.

 

 

 

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Renaud Genevois est pasteur à l’Église Perspectives de Colmar. Avant cela, il a été enseignant dans des écoles chrétiennes durant plusieurs années. Il a étudié à l’Institut Biblique de Genève et à l’Institut Supérieur Protestant à Guebwiller. Il prépare actuellement un master de théologie à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Renaud est allé plusieurs fois en Afrique enseigner dans un institut biblique et former des enseignants chrétiens. Il écrit régulièrement pour le Bon Combat.