Justin Martyr connaissait-il l’Évangile de Jean ?

 

Article de Michael Kruger initialement publié le 12 novembre 2013 sur son blog, Canon Fodder. Traduction : Daniel Orchanian

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La question de savoir à quand remonte l’utilisation de quatre évangiles, ou le « quadruple Évangile », fait l’objet d’un débat académique de longue date. Le sujet apparaît déjà chez Irénée, dont le point de vue est on ne peut plus clair :

« Par ailleurs, il ne peut y avoir ni un plus grand ni un plus petit nombre d’Evangiles. En effet, puisqu’il existe quatre régions du monde dans lequel nous sommes et quatre vents principaux, et … car les Chérubins ont une quadruple figure » (Contr. Her. 3.11.8).

 

Mais peut-on faire remonter l’Évangile quadruple à une période antérieure ? Justin Martyr, apologète chrétien de l’Église primitive, qui écrivait vers 150-160, est une figure clé de ce débat. Il connaît manifestement les évangiles synoptiques (Matthieu, Marc et Luc), mais a-t-il connu celui de Jean ? Les spécialistes sont en désaccord sur ce point.

Je pense cependant qu’il y a de bonnes raisons de penser qu’il l’a effectivement connu. En voici quelques-unes :

  1. Il ne faut pas oublier que Justin était le maître et mentor de Tatien, célèbre pour avoir produit le Diatesseron, une harmonie des quatre évangiles. Fait intéressant : non seulement l’évangile de Jean y est inclus, mais il constitue la structure chronologique au centre de l’œuvre. Si Tatien a accordé une telle importance à cet évangile, il est difficile d’envisager que son maître, Justin, n’en ait pas eu connaissance.
  2. Justin indique à un moment donné le nombre d’évangiles dont il a connaissance lorsqu’il les mentionne comme « écrits… par ses apôtres et par leurs disciples » (Dial. 103). Le double pluriel indique au moins deux évangiles écrits par les apôtres, ainsi qu’au moins deux autres rédigés par des compagnons apostoliques. Ainsi, il semble que Justin ait obtenu a minima quatre évangiles principaux. Sachant que trois de ces évangiles sont ceux de Matthieu, Marc et Luc, il semble tout à fait naturel que le dernier soit celui de Jean. Si ce n’est pas Jean, de quel évangile parlerait-on alors ?
  3. Justin connaissait de toute évidence d’autres écrits johanniques, comme l’Apocalypse qu’il considérait comme une œuvre de l’apôtre Jean (Dial. 81.4). Sa familiarité avec la tradition johannique pourrait résulter du fait qu’il vivait dans l’ancienne résidence de Jean à Éphèse lors de son dialogue avec Tryphon. S’il était familier des autres œuvres de Jean, il est raisonnable de penser qu’il a connu l’évangile du même auteur.
  4. Justin est familier de la terminologie johannique comme le « logos », ainsi que de plusieurs thèmes propres à l’évangile de Jean. Il semble même citer Jean directement : « Car le Christ a dit : ‘Si vous ne renaissez pas, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux’ (cf. Jean 3, 3 ; 1 Apol. 61, 4).

 

Bien entendu, ces considérations ne peuvent permettre d’établir au-delà de toute incertitude que Justin avait connaissance de l’évangile de Jean (il est rare que les études historiques arrivent à prouver ce genre de choses). Néanmoins, elles indiquent que c’est une probabilité sur le plan historique. Et si tel est le cas, alors Justin fournit des indices solides que vers le milieu du deuxième siècle (au moins), les quatre évangiles étaient considérés comme ayant autorité au sein du christianisme primitif. En effet, Justin indique comment les évangiles (« mémoires des apôtres ») étaient estimés en son temps :

Et au jour qu’on appelle « jour du soleil », que nous demeurions dans les villes ou dans les campagnes, nous nous rassemblons tous en un même lieu ; on y donne lecture des mémoires des apôtres ou des écrits des prophètes, aussi longtemps que possible. Puis, lorsque le lecteur a fini, celui qui préside, prenant la parole, nous admoneste et nous exhorte à suivre ces beaux enseignements (1 Apol 67.3).

 

Une telle pratique généralisée du culte n’a sans doute pas été inventée par Justin, mais semble issue d’un long héritage historique. Il existe donc des raisons valables de penser que les origines du quadruple Évangile pourraient remonter encore plus loin dans le temps.

 

 

 

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