Jephté a-t-il réellement tué sa fille, en Juges 11 ?

Jephthé est l’un des juges que Dieu a suscités pour combattre l’ennemi. Les anciens de Galaad lui demandent de les diriger dans la guerre contre les Ammonites. Après quelques négociations, Jephthé accepte. Il envoie des messagers au roi. Ce dernier refuse d’écouter Jephthé, et la guerre est déclarée. En partant au combat, Jephthé fait un voeu à l’Éternel et dit :

« Si tu livres entre mes mains les fils d’Ammon, quiconque sortira des portes de ma maison au-devant de moi, à mon heureux retour de chez les fils d’Ammon, sera consacré à l’Éternel, et je l’offrirai en holocauste » (11.30-31). 

 

Qui dit Jephthé dit voeu. Du ministère de ce juge, certains ne retiennent que le récit de son voeu étrange. L’interprétation de cet acte oppose adversaires et partisans de Jephthé. Certains voient en lui un produit des cultures cananéennes, un homme qui n’a pas hésité à tuer sa propre fille pour s’acheter la bénédiction divine[1]. Les sceptiques et les musulmans se sont eux aussi servi de cette interprétation pour justifier la soi-disant horreur et barbarie de la Bible ! 

Mais Jephthé a-t-il réellement tué sa propre fille ? En quoi consistait l’engagement de son voeu ? Avant de tirer des conclusions hâtives, je vous propose de regarder ensemble l’histoire de près. Il existe quatorze éléments dans le contexte qui, lorsqu’ils sont combinés, nous conduisent à supposer que Jephthé, loin de tuer sa fille, l’a consacrée à une virginité perpétuelle au service du tabernacle. 

 

 

1. Le caractère de l’homme

Jephthé nous est présenté sous le même titre que Gédéon, « un puissant homme de valeur » (Juges 11.1). Il a prouvé aux anciens et au roi d’Ammon qu’il était prudent ! Il ne s’est pas précipité pour devenir chef des Israélites ; il a d’abord cherché à comprendre leur but, leurs intentions, etc. Nous avons ici un homme mûr qui réfléchit aux conséquences d’un combat avant de mobiliser ses troupes. Il ne s’est pas précipité pour entrer en guerre ; il choisit la négociation d’abord. Il cherche la réconciliation quand c’est possible (11.12-28). Il est seulement parti à la guerre en dernier recours. 

 

 

2. La motivation du voeu du juge

Le voeu de Jephthé est souvent considéré comme un chantage vis-à-vis de Dieu. Je ne le crois pas. Je suis plutôt d’avis qu’il désirait manifester sa reconnaissance à l’Eternel pour la victoire sur les Ammonites. Le voeu est prononcé avant le combat à tête reposée et non pas en dernier recours à un moment où il est au bord de la défaite. Il me semble que les offrandes volontaires et les voeux étaient les bienvenus en Israël et représentaient non pas un moyen de faire pression sur Dieu mais plutôt le reflet d’un coeur reconnaissant. 

 

 

3. Jephthé démontre sa familiarité avec la Torah

D’après Keil et Delitzsch, « nous n’avons pas le droit de lui attribuer [à Jephthé] une ignorance quelconque de la loi »[2], comme l’ont suggéré certains. Sa connaissance des Écritures est profonde, comme le montre sa conversation avec les Ammonites et son rappel historique de la conquête de l’actuelle Jordanie. Il connaissait sans aucun doute Lévitique 18.21 et Deutéronome 12.29-32 qui interdisaient les sacrifices humains – en particulier ses propres enfants. Et même s’ils lui étaient inconnus, il paraît improbable que durant les deux mois de deuil de sa fille, alors que tout Israël était au courant de son vœu, personne de son entourage ne l’en ait informé. Et rappelons-nous que le chapitre onze de Juges ne se trouve pas dans un contexte ou cycle de rétrogression d’Israël mais plutôt de réforme, avec un réformateur dont le nom est Jephthé ! Il serait absurde de voir un bon réformateur contredire les Écritures d’une manière flagrante en exécutant sa propre fille. 

 

 

4. « L’Esprit de l’Éternel repose sur Jephthé » (v.29)

Cette mention ne doit pas être négligée. Comme dans le cas de Gédéon et d’Othniel, six des sept références à l’Esprit de l’Éternel dans le livre de Juges ont pour objet d’aider le lecteur à interpréter positivement un récit qu’il pourrait, de prime abord, comprendre négativement. Dans ce contexte, en signalant la venue de l’Esprit sur Jephthé avant la formulation de son voeu (11.29-30), l’auteur nous met en garde contre une compréhension négative de l’engagement du juge. De plus, le Saint-Esprit aurait-il inspiré Jephthé de faire un voeu contradictoire aux Écritures inspirées par l’Esprit lui-même ? La tonalité de cette description laisse entendre que Jephthé est manifestement un homme de Dieu, comme nous le montrent les autres épisodes. Sa foi en l’Éternel est exemplaire. 

 

 

5. Question de traduction

Je reviendrai plus loin sur la signification du terme sacrifice ; mais supposons pour l’instant qu’il signifie la mort physique. Regardons encore le voeu de notre juge au v.31 : « quiconque sortira des portes de ma maison au-devant de moi, à mon heureux retour de chez les fils d’Ammon, sera consacré à l’Éternel, et je l’offrirai en holocauste. » Je ne prétends pas être un expert en hébreu, mais de nombreux commentateurs, dont E. W. Bullinger[3], spécialiste en hébreu à la Trinitarian Bible Society, et Keil et Delitzsch[4], soulignent que la lettre hébraïque vav, traduite par « ET » dans ce verset, pourrait-être traduite par « OU » ou « NI » (c’est le cas dans Exode 21.14 ; cf. aussi Genèse 41.44, Exode 20.4, Lévitique 5.22 et 2 Samuel 2.19).

D’après E. W. Bullinger, « Rabbi David Kimhi, ancien commentateur juif (1160-1232), rend les paroles du vœu très différemment de la version révisée de la King James (1885) et nous dit que son père, Rabbi Joseph Kimhi défendait la même position. Tout comme Rabbi Levi ben Gershom (né en 1288), le père et le fils figurent au nombre des grammairiens et commentateurs hébreux les plus éminents et sont en ce sens mieux qualifiés que n’importe quel commentateur non-juif. Ils ont tous trois donné leur accord sans réserve à ce que les paroles du vœu soit traduites et interprétées non comme portant sur un seul objet mais comme constitué de deux parties distinctes » [5] (c’est nous qui soulignons).

Une traduction possible serait donc : « … sera consacré à l’Éternel, OU je l’offrirai en holocauste. » Ceci expliquerait la pensée derrière le voeu de Jephthé : « si une personne sort, je la consacrerai ; si c’est un animal (le OU), je l’offrirai comme sacrifice. » C’est une traduction tout à fait plausible. (Il est intéressant de remarquer que les traducteurs de la King James ont reconnu cette possibilité et noté la conjonction disjonctive « ou » dans la marge de leur traduction comme alternative.) Cela correspondrait également à l’enseignement de Lévitique 27.1-13 sur la distinction entre les humains consacrés à Dieu (v.1-8) et les animaux offerts en sacrifice (v.9-13).

 

 

6. Signification du « sacrifice »

Si tu n’es pas convaincu par le point précédant et si tu insistes sur l’utilisation du « ET », sache alors que « offrir en sacrifice » (holocauste) ne signifie pas toujours un sacrifice sanglant. Cela peut signifier une consécration (sacrifice vivant) comme le dit l’apôtre Paul dans Romain 12.1 : « Je vous exhorte donc, frères, par les compassions de Dieu, à offrir vos corps comme un sacrifice vivant, saint, agréable à Dieu, ce qui sera de votre part un culte raisonnable. » Dans ce sens, le voeu de Jephthé signifie : « … sera consacré à l’Éternel, et je l’offrirai en consécration pour toute la durée de sa vie » (cf. Exode 38.8 ; Luc 2.36-37).

C’est ce qu’a fait Anne avec son fils Samuel dans 1 Samuel 1.11 : « Elle fit un voeu, en disant : Éternel des armées ! si tu daignes regarder l’affliction de ta servante, si tu te souviens de moi et n’oublies point ta servante, et si tu donnes à ta servante un fils, je le consacrerai à l’Éternel pour tous les jours de sa vie (…). » La racine du mot hébreu traduit par « sacrifice » est la même dans les deux versets (Juges 11 et 1 Samuel 1). 

 

 

7. Les prêtres n’auraient jamais accepté un sacrifice humain (Deut 12.31)

Jephthé a donné deux mois à sa fille pour pleurer sa virginité. Non seulement avait-il beaucoup de temps pour réfléchir à ce qu’il allait faire, mais aussi est-il impossible que pendant tout ce temps-là, les prêtres et le peuple n’aient pas réagi comme ils l’ont fait dans des situations moins graves. Ils se sont opposés à Saül lorsqu’il a voulu tuer son fils Jonathan (1 Samuel 14.45). Un deuxième exemple nous vient de 2 Rois 3.27, où le sacrifice humain effectué par l’infâme roi païen Mésha scandalise tellement Israël que le peuple cesse de poursuivre l’ennemi. Si sa réaction est aussi vive face à un tel péché de la part d’un païen, une apathie générale du peuple devant une abomination identique commise par son propre chef est impensable !

Le livre de Juges est rempli d’antipathie du peuple à l’égard des juges ; cependant concernant Jephthé l’auteur ne mentionne qu’une seule accusation injuste des hommes d’Ephraïm (12.1-3). Si le voeu de Jephthé avait impliqué qu’il tue sa fille, il se serait agi d’un holocauste et il aurait dû l’offrir en sacrifice sur l’autel du tabernacle (ou à Silo). Les prêtres auraient-ils permis une telle abomination dans la maison de l’Éternel ? Jamais ! 

 

 

8. L’option du rachat

Même si le voeu de Jephthé avait consisté à mettre à mort sa fille, Lévitique 5.4-5 lui aurait offert la possibilité de se repentir d’un tel voeu. Lévitique 27 lui offrait la possibilité de racheter sa fille en payant une rançon. Mais Jephthé n’a jamais considéré ces choses. Sa réaction exprime au contraire une impossibilité de revenir en arrière (11.35). Cela signifie sans doute que, malgré son désarroi à l’idée de devoir consacrer sa fille unique, cette consécration n’était pas en elle-même un péché, alors qu’elle l’aurait été s’il avait dû mettre à mort sa fille (Exode 20.13). 

 

 

9. La réaction de Jéphthé

Avait-il oublié sa fille lors de son engament ? Pensait-il qu’elle serait ailleurs ? L’auteur ne nous fournit aucune réponse. Seul le caractère et la réaction du juge peuvent nous aider. À son retour, la personne qui l’accueille est effectivement une personne qui lui est très chère, puisque c’est son unique enfant (l’auteur insiste sur ce point, 11.34). Mais rien dans le texte nous dit que Jephthé regrette son voeu. Il a consacré sa fille unique à l’Éternel ; nous devons donc comprendre sa réaction davantage comme le reflet de sa douleur que de son regret.

Le coût est énorme ! Il souffre de donner sa fille unique au Seigneur, comme (pour reprendre l’illustration d’un commentateur) un père peut souffrir de voir son enfant unique partir en mission dans un pays lointain, alors même qu’il avait espéré et prié pour un engagement chrétien. Jephthé réalise que l’engagement de sa fille unique implique son célibat et par conséquent l’absence d’héritier. Sa douleur est compréhensible. 

 

 

10. L’exécution du voeu de Jephthé

Dans Juges 11.39, nous lisons que Jephthé « accomplit sur elle le voeu qu’il avait fait », mais la phrase qui suit ne dit pas : « puis elle mourut. » Il est dit : « elle n’avait point connu d’homme. » Tel était donc l’accomplissement du voeu. La virginité perpétuelle, la consécration virginale, voilà en quoi consiste le voeu de Jephthé ! Le verset 37 le confirme : « Et elle dit à son père : Que ceci me soit accordé : laisse-moi libre pendant deux mois ! Je m’en irai, j’errerai dans les montagnes, et je pleurerai [non pas ma mort, mais] ma virginité avec mes compagnes. » Elle avait espéré être épouse et mère ; mais, comme la volonté de Dieu pour elle est autre, elle l’accepte et demande un temps d’adaptation et de préparation avant de commencer sa nouvelle vie. Nulle part n’est-il dit explicitement que Jephthé a tué sa fille.

J’en profite pour faire une remarque sur la manière dont la Bible Semeur 2000 traduit le verset 37 : « j’irai avec mes amies dans les montagnes, pour y pleurer de ce qu’il me faille mourir avant d’avoir été mariée » (c’est nous qui soulignons). Cette traduction interprète clairement le texte hébreu au lieu de le traduire littéralement. Tout ce que dit le verset en hébreu, c’est : « Je m’en irai, j’errerai dans les montagnes, et je pleurerai ma virginité avec mes compagnes. » 

 

11. Les deux mois de deuil

Si Jephthé a donné sa fille à l’Éternel en la consacrant au célibat perpétuel à son service, cela explique certainement pourquoi elle demande à pleurer sa virginité (v.37). Si elle s’apprêtait à mourir sacrifiée sur un autel, il serait étrange qu’elle ne pleure pas sa mort imminente, abominable et prématurée, mais seulement le fait qu’elle ne soit jamais en mesure de se marier et d’enfanter. S’il s’agissait des deux derniers mois de son existence, il serait également curieux qu’elle les passe dans les montagnes et non avec sa famille. Ses actes n’ont de sens que si elle s’apprête à être consacrée à une vie de célibat au service de Yahvé.

 

12. La fille de Jephthé est clairement une jeune femme pieuse (11.36)

Il serait étrange qu’elle encourage son père à accomplir un vœu non conforme aux Écritures et considère cela comme agréable à l’Éternel.

 

 

13. On ne célèbre pas la mémoire d’un sacrifice humain !

Au verset 40, nous lisons que « tous les ans (…), les filles d’Israël s’en vont célébrer la fille de Jephthé. » Le souvenir de l’engagement courageux de la fille de Jephthé devient une fête annuelle célébrée par les filles d’Israël. Remarquons qu’elles ne déplorent pas ni ne se lamentent sur sa mort, mais plutôt célèbrent sa consécration au service de Dieu. Si Jephthé avait mis à mort sa fille, le peuple n’aurait jamais commémoré (célébré) un acte aussi barbare. En revanche, si la maison de Jephthé s’est totalement consacrée à l’Éternel après la victoire sur les Ammonites, une telle fête se justifie entièrement. 

 

 

14. Jephthé n’est nulle part réprimandé dans la Bible

En fait, c’est tout à fait le contraire. Il a dirigé Israël pendant six années supplémentaires. L’Ancien et le Nouveau Testament donnent une évaluation très favorable de lui. Le prophète Samuel parle positivement de lui (1 Samuel 12.11 ; Samuel aurait-il dit ces choses si Jephthé avait tué volontairement sa fille ?). Hébreux 11.32 le classe parmi les héros de la foi. 

 

 

Conclusion 

Le but de mon article n’est certainement pas de présenter un Jephthé sans défaut ou de montrer qu’un héros de la foi ne peut pas chuter lourdement – loin de là. Jephthé avait certainement ses défauts. La Parole de Dieu nous montre clairement, et volontairement, que même les géants de la foi ont eu leur moment de faiblesse et que la seule personne à avoir jamais vécu une vie pure et sans tache est Jésus-Christ. Mon but est simplement de montrer que la manière dont la Parole de Dieu évalue Jephthé concorde avec notre conclusion selon laquelle le voeu de Jephthé ne consiste pas à tuer sa fille mais plutôt à la consacrer au service de l’Éternel, un engagement qui implique le défi remarquable de la virginité perpétuelle. Ceci en soi est un sacrifice énorme de sa part et plus encore de la part de sa fille. 

Même s’il ne s’agit pas d’une mise à mort, certains continueront sans doute à penser que Jephthé a commis une folie en faisant un voeu qui le conduirait à consacrer sa fille. Si tel est le cas, alors considérons les merveilles de l’Éternel, capable de transformer la folie de Jephthé en une manifestation de sa grâce salvatrice à travers la soumission et l’abnégation admirables de cette pieuse jeune fille. Elle est peut-être elle le personnage clé de cette histoire (qui fera l’objet d’un autre article !) et nous avons énormément à apprendre de sa soumission sacrificielle et de l’impact de sa vie sur les filles d’Israël, à tel point qu’elles la célébraient annuellement. Que le Seigneur nous aide à vivre une vie contagieuse. 

 

 

 

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Notes et références :

[1] C’est la position défendue par Flavius Josèphe, les Chaldéens et certains Pères de l’Église. D’après eux, Jephthé a mis sa fille à mort et l’a brûlée sur l’autel en holocauste à l’Éternel.

[2] Carl Friedrich Keil et Franz Delitzsch Keil-Delitzsch, Commentary on the Old Testament, vol 2, p.390.

[3] E. W. Bullinger, Great cloud of witnesses in Hebrews 11, pp. 324-331. Si nous mentionnons E. W. Bullinger dans cet article, cela n’implique pas que nous adhérions à l’hyper-dispensationalisme ou à d’autres positions qu’il défend, notamment sur le baptême, etc.

[4] Cf. par exemple Keil et Delitzsch, Commentary on the Old Testament, vol 2, p. 389

[5] E. W. Bullinger, Great cloud of witnesses in Hebrews 11, p. 326

 

 

 

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McHicham est pasteur et auteur de quelques ouvrages en anglais et en français dont, « La foi sur le gril », « Cher Abdullah » et « Chrétien rencontre musulman : comment communiquer et surmonter les obstacles ». Il est candidat au Doctorat en Science des Religions. Titulaire de deux Masters dont un en théologie, McHicham enseigne l’islamologie et l’apologétique dans des instituts bibliques en francophonie et en Grande-Bretagne.