Venir du ciel sans tomber des nues

 

Voici la suite de l’évaluation critique du Traité d’athéologie de Michel Onfray. Il s’agit de la septième partie. Rappel : la première est à retrouver ici, la deuxième ici, la troisième ici, la quatrième ici, la cinquième ici, et la sixième ici.

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Dans la partie précédente de cette critique, nous expliquions ce qu’est l’évangile biblique, et remarquions que  la source d’enseignement qui fait autorité pour le chrétien n’est pas l’église ou l’évêque de Rome, mais la bible. L’inspiration divine de la bible et son statut de « parole de Dieu » ne sont pas nécessairement affirmés par la totalité des chrétiens, mais ces croyances sont suffisamment répandues et suffisamment centrales pour le chrétien (à mon sens) pour qu’il vaille la peine de défendre leur cohérence contre les arguments incorrects de Michel Onfray.

Il avance les trois lignes d’objections suivantes : 1-La bible ne peut pas être la parole de Dieu car elle a été composée de manière historique par les hommes, 2-Le périmètre du canon de la bible (quels livres en font partie et quels livres sont exclus) est arbitraire et politique, ce qui est incompatible avec la thèse de sa révélation divine, et 3-La copie et recopie du texte et sa distorsion au fil des siècles nous empêchent de faire confiance à la bible, car nos manuscrits contiennent des corruptions textuelles.

Répondons dans l’ordre à ces trois objections mal conçues.

Tout d’abord, la question de l’inspiration divine. De toute évidence, Michel Onfray ne comprend pas ce qu’affirment les chrétiens à ce sujet. Il dit en page 55 que Spinoza « avance l’idée que la Bible est un ouvrage composé par divers auteurs et relève d’une composition historique, donc non révélée ». Cette inférence est un non-sequitur. De la composition historique de la bible, il ne s’ensuit pas un instant qu’elle soit « non révélée ».  La doctrine chrétienne de l’inspiration n’exclut aucunement une composition humaine ; bien au contraire, elle la requiert !

paul_valentinL’enseignement chrétien à ce sujet est que Dieu a décidé de révéler sa parole en inspirant des hommes, dirigeant de manière providentielle leurs écrits humains afin de communiquer ce qu’il souhaitait affirmer avec son autorité divine. Le processus est décrit de manière plus ou moins explicite dans la bible elle même : les écritures ne sont ni dictées ni tombées du ciel par magie ; elles sont « inspirées » (du grec theopneustos en 2 Tim. 3 :16) par Dieu. « Ce n’est pas par une volonté d’homme qu’une prophétie a jamais été apportée, mais c’est poussés par l’Esprit Saint que des hommes ont parlé de la part de Dieu » (2 Pi .1 :21). Ainsi, lorsqu’Onfray dit en page 115 qu’une analyse historique nous « dispense de croire ces textes inspirés et produits sous la dictée de Dieu », il confond la bible et le koran ! Selon l’islam, le koran a été dicté à Mahomet par l’ange Gabriel (une affirmation que les chrétiens rejettent, évidemment), mais aucun chrétien n’affirme que la bible a été « dictée », un terme qu’Onfray emploie pourtant de manière répétée : « Yahvé n’a rien dicté » (p.116). Ce sophisme épouvantail récurant n’est même pas le pire, puisque Michel Onfray en vient même à affirmer que la bible n’est pas « tombée du ciel », comme si les chrétiens affirmaient quoi que ce soit de semblable. Il nous dit (p.204) que les « dévots » affirment que ces livres sont « tombés un jour du ciel de manière miraculeuse ou dictés à un homme inspiré par un souffle divin inaccessible au temps ». –N’importe quoi.

« Pas plus que les fables persanes ou les sagas islandaises ces pages ne descendent du ciel. » –Évidemment ! Mais donc aucunes des ces objections ne touche de près ou de loin la doctrine chrétienne de l’inspiration de la bible : des hommes écrivent la parole de Dieu sous l’inspiration divine providentielle.

Passons alors aux objections d’Onfray sur le contenu du canon biblique.

Vis à vis du contenu de la bible, Michel Onfray écrit ceci : « Le canon testamentaire procède de décisions politiques tardives, notamment quand Eusèbe de Césarée, mandaté par l’empereur Constantin, constitue un corpus à partir de vingt-sept versions, nous sommes dans la première moitié du IVe siècle ; les écrits apocryphes sont plus nombreux que ceux qui constituent le Nouveau Testament. » (p.116)

constantineLa nature de l’objection est un peu floue, mais j’assume qu’il s’agit ici d’une complainte portant sur les critères d’inclusion des livres. L’affirmation que les décisions canoniques sont « politiques et tardives » n’est pas supportée par Michel Onfray avec la moindre preuve vérifiable (quel intérêt politique aurait dirigé Constantin dans ses soi-disant décisions d’inclusion ou d’exclusion ?), donc il n’y a pas grand-chose que je puisse réfuter, mais clairement, historiquement, le canon n’a pas été déterminé par Constantin. Bien avant lui, les écritures du Nouveau Testament avaient été reconnues comme faisant autorité. Ultimement, pour le chrétien, le canon est déterminé par l’acte d’inspiration de Dieu.

Si Dieu inspire certains livres et pas d’autres, alors certains livres appartiennent au canon, et d’autres pas. La question pertinente se posant alors, est « quelles sortes de critères ont été utilisés par l’Église pour reconnaître que certains livres sont inspirés et d’autres ne le sont pas ? » Sans trop entrer dans les détails, voici les critères qui ont joué un rôle dans leur reconnaissance du canon : 1-Apostolicité, 2-Universalité, 3-Orthodoxie, 4-Liturgie. Les livres ont-ils été écrits par des apôtres ou des personnes connectées aux apôtres ? Les livres sont ils acceptés de manière universelle au travers du monde chrétien ? Contiennent ils des enseignements cohérents avec ce qui a déjà été révélé ? Et sont ils utilisés tôt dans les services d’églises pour la liturgie ? Ces critères ne sont pas nécessairement employés de manière strictement absolue, mais ils justifient largement l’inclusion des livres canoniques, et l’exclusion par exemple des écrits gnostiques de la fin du deuxième siècle.

Quand Onfray nous dit que les « écrits apocryphes sont plus nombreux que ceux qui constituent le Nouveau Testament », je me demande ou se trouve le problème. Si le critère de différenciation est justifiable, (et ceux que je viens d’offrir me semblent clairement justifiés), ce n’est certainement pas le nombre de candidats qui fait la différence ! Les candidats aux concours d’entrées aux grandes écoles sont bien plus nombreux que les élèves admis, mais en aucun que cela ne veut dire que les critères d’admission sont arbitraires ou politiques !

Ces considérations réfutent avec succès l’affirmation non supportée par Onfray que le canon est arbitraire et politique.

Enfin, la dernière objection de Michel Onfray concerne la fiabilité du texte lui même. Nous n’avons pas aujourd’hui les documents originaux du Nouveau Testament, et Onfray affirme qu’il est alors irrationnel de faire confiance au texte, car il aurait été corrompu par les copies à travers les siècles : « Ces pages écrites par un nombre considérable de personnes, après de long siècles de tradition orale sur une période historique extrêmement étendue, le tout ayant été mille fois copié par des scribes peu scrupuleux, niais, voire réellement et volontairement falsificateurs » (p.204).

Cette objection est probablement la plus facilement réfutable. La fiabilité du texte du Nouveau Testament est tout bonnement impeccable. Le niveau de certitude permis par nos manuscrits dépasse celle que l’on a pour tout autre document d’antiquité, et de très loin. Lorsque des différences sont introduites par la copie d’un texte (erreurs de copies, erreurs d’orthographe, changements involontaires ou volontaires, additions, corrections, etc.), il suffit de comparer les différents manuscrits pour établir quelle lecture est apparemment originale. Pour ce faire de manière fiable, il y a alors deux critères qui entrent en jeu : « combien de manuscrits a-t-on ? et à quel point sont ils anciens ? »

P52En la matière, c’est bien simple, le Nouveau Testament surpasse toute compétition. Alors que le nombre moyen de copies pour des documents d’antiquité (tels que les écrits de César, d’Omer, ou de Platon, par exemple) est de quelques dizaines ou centaines tout au plus, nous avons aujourd’hui plus de 5700 manuscrits en Grec, plus de 10000 copies en Latin, et encore d’autres milliers dans d’autres langues anciennes ou dans des citations par des pères de l’église. Et pour ce qui est de la date, pour les documents d’antiquité moyens, il faut attendre plusieurs siècles (parfois 400 ans, 900 ans) avant d’avoir une seule copie ; alors que nos manuscrits du Nouveau Testament remontent jusqu’à une trentaine d’années seulement après leur écriture. (Le papyrus « P52 » est le plus ancien officiellement catalogué à ce jour, daté à 125 après J.C.).

Alors Onfray a raison quand il dit que « Les plus anciens datent d’un demi-siècle après l’existence supposée de Jésus » (p.205), mais il ne s’ensuit évidemment pas qu’il nous faille douter de leur fiabilité ; bien au contraire, leur fiabilité est largement supérieure à tout autre document d’antiquité (pourtant pas sérieusement remis en doute). Il ajoute « aucune copie des évangiles n’existe avant la fin du IIe ou le début du IIIe. » (p.205-206) S’il demande par là un manuscrit quelconque d’un des évangiles, alors cette affirmation est réfutée par l’existence de P52. Et s’il demande une copie complète des évangiles, alors le standard est arbitraire, mais soyons clair : même si nos documents ne remontaient qu’au début du troisième siècle, leur fiabilité resterait exceptionnelle. Les milliers de manuscrits anciens dont on dispose aujourd’hui nous permettent dans la presque totalité des cas de reconstruire le texte original avec un haut niveau de certitude, et pour les quelques endroits ou les décisions sont un peu plus difficiles, nos textes modernes nous le signalent dans les notes de bas de page, et n’affectent de toute façon aucune doctrine fondamentale du christianisme.

Les affirmations de corruptions textuelles sont donc sans mérite. Michel Onfray est libre de ne pas aimer ce que dit la bible, mais il est n’est pas cohérent de dire qu’on ne sait pas ce qu’elle dit.

 

 

 

 

 

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Ayant étudié les maths et la physique en classe préparatoire et grande école d'ingénieur, Guillaume Bignon travaille dans l'informatique financière sur Wall Street. Après une conversion improbable et providentielle à l'âge adulte, il s'est pris de passion pour l'apologétique chrétienne et a obtenu une Maîtrise en littérature biblique avec emphase sur le Nouveau Testament, d'Alliance Theological Seminary à New York. Il est titulaire d'un Doctorat en théologie philosophique sous la direction de Paul Helm à London School of Theology. Guillaume est membre de l’Evangelical Theological Society, l’Evangelical Philosophical Society, la Society of Christian Philosophers, et l’association axiome. Il s'intéresse à la métaphysique du libre arbitre, sa relation avec la providence divine et la logique modale, ainsi que la théologie naturelle et l'épistémologie.