Quelle mouche a piqué le patriarche de Moscou ?

 

 

Article de Jean-René Moret, Dr es lettre en études théologiques, pasteur à l’Église Évangélique de Cologny, initialement paru dans «le Temps» le 4  mai 2022.

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L’«opération militaire spéciale» de la Russie a pris tout le monde de court, et a bien des aspects déroutant. Qui s’attendait à une guerre conventionnelle sur le continent européen ? Un des à-cotés suprenants voire choquants de cette guerre est de voir le patriarche de Moscou, chef de l’Église orthodoxe Russe, soutenir et encourager l’effort militaire de son pays. Ce positionnement repose sur plusieurs erreurs théologiques qui le placent en porte-à-faux avec l’enseignement de Jésus-Christ. Les souligner aidera à comprendre la situation, et servira de mise en garde pour chacun.

 

 

L’identification d’une église et d’une nation

Premièrement, les églises orthodoxes sont organisées sur une base nationale. Diverses églises dites autocéphales (indépendantes) couvrent chacune un pays ou une aire géographique. En soit, cela peut n’être qu’un principe d’organisation relativement neutre. Mais il porte en lui le risque d’identifier les intérêt d’une Église avec une nation. Et il y a là une trahison du message chrétien, qui vise le rassemblement d’une humanité renouvelée, issue de «toutes langues, toutes tribus et toutes nations». La foi en Jésus-Christ donne une nouvelle identité, qui transcende les identités ethniques et nationales. Ne nous voilons pas la face, les chrétiens occidentaux sont aussi largement tombés dans le piège d’oublier cette réalité au profit du nationalisme, par exemple lors de la première guerre mondiale qui a largement vu les églises nationales soutenir chacune leur propre camp.

Dans le cas de l’Ukraine, la situation est accentuée pour des raisons historiques. Jusqu’à peu, l’Ukraine relevait du patriarcat de Moscou. Dans le cadre des tensions qui se sont accumulées avec la Russie, l’Ukraine s’est dotée en 2019 d’une Église autocéphale, reconnue par le patriarcat de Constantinople … mais pas par celui de Moscou, qui a dès lors rompu sa communion avec Constantinople. En conséquence, il peut aussi voir la guerre comme un moyen de récupérer l’autorité sur les chrétiens ukrainiens, qu’il tendra à voir comme schismatiques et rebelle à son autorité.

 

 

L’alliance avec le pouvoir

Deuxième spécificité, le patriarche Cyrille se positionne comme appui du pouvoir de Vladimir Poutine. Là aussi, l’histoire orthodoxe joue un rôle. En orient comme en occident, l’empire Romain était devenu officiellement chrétien au cours du 4esiècle, avec des empereurs qui se sont vus et présentés comme des appuis de l’Église. Mais le plus long maintien de l’Empire en Orient a contribué à ancrer plus profondément cet usage, et les tsars (terme issu de César) on joué sur le même tableau. La période communiste a bien sûr opéré un basculement où l’Église était opprimée plutôt que soutenue. Vladimir Poutine lui offre de retrouver son ancien statut, ou en tout cas un réminescence.

En retour, l’Église offre une légitimité au président et appuie son idéologie de grande Russie. Or Jésus a annoncé un Royaume qui s’est pas de ce monde. Une Église ne peut être pleinement fidèle à Jésus-Christ en étant inféodée au pouvoir politique -vérité que l’occident a lui aussi mis bien longtemps à comprendre. Les évangéliques, d’abord anabaptistes, puis non-conformistes anglais, dissidents suisses, etc. furent précurseur sur ce plan, mais ne peuvent plus faire les fiers après la manière dont une part de l’establishement évangélique américain s’est prostitué à Donald Trump.

Croire avancer le Royaume de Dieu par les armes

Le patriarche de Moscou a en outre affirmé dans son homélie du 6 mars que «la Russie ne conduit pas en Ukraine un combat physique mais métaphysique contre les forces du mal». Cette déclaration s’ancre dans une vision où l’occident est vu comme décadent et anti-chrétien, et la Russie et son Église comme des remparts de fidélité à Jésus-Christ. Arracher l’Ukraine à l’influence occidentale pour la ramener dans l’orbite Russe serait alors un combat du bien contre le mal. On ne peut nier que l’occident est largement déchristianisé. Mais Jésus soulignait qu’il n’avait pas le genre de Royaume qui impliquait la prise des armes par ses partisans, et que s’il avait eu besoin de forces armées, il n’avait qu’à demander des légions d’ange à Dieu son Père. Le Royaume de Dieu annoncé par Jésus-Christ ne peut avancer que par l’amour, le témoignage et l’annonce de son message. En pensant avancer la cause du Christ par les armes, Cyrille dénature son message. Là aussi, l’Europe occidentale n’a pas été de reste, si l’on pense aux croisades, à l’empire Carolingien ou aux ambiguïtés de la colonisation. Ce qu’il convient de souligner dans tous ces cas, c’est que ce n’est pas le message de Jésus-Christ qui scandalise, mais bien sa trahison par les autorités ecclésiales. Bien le comprendre aidera chacun à faire sens de la situation.

Et pour les chrétiens, tout ceci constitue un avertissement de résister aux sirènes du nationalisme, du pouvoir politique et de la force militaire, et à prier pour un changement d’optique du côté de Moscou.

Une pétition selon les lignes développées dans cet article peut être signée sous https://www.change.org/PatriarcheMoscouUkraine

Une prédication développant le même sujet peut être visionnée en ligne : Que prend-il au patriarche de Moscou de soutenir l’intervention Russe en Ukraine

 

 

 

 

 

 

 

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