Imiter consciemment = témoigner légalement ?

Cet article est une réponse à l’article de Gilles Colin publié sur Le Bon Combat le 14 septembre 2015 : “Télécharger illégalement = pécher inconsciemment ?” 

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[dropcap style= »normal or inverse or boxed »]T[/dropcap]out d’abord, je dois dire que j’apprécie la volonté d’approcher de manière biblique tous les sujets. Ici, je veux revenir sur un récent article sur le “téléchargement illégal”. (1)

L’auteur propose plusieurs raisons pour lesquelles télécharger “sans payer” va à l’encontre de l’éthique chrétienne. Cependant, il me semble que l’article en question est problématique sur plusieurs points.

Si je réagis à l’article en question c’est que depuis plusieurs années ce même sujet du “copyright” (ou “droit d’auteur”), m’est particulièrement important. Je reconnais ici être influencé par la pensée de théologiens comme Vern Poythress ou John Frame sur ce sujet. (2)

 

1) Je suis bien d’accord qu’il faut rendre à chacun son dû. Mais quel est le “dû” du chanteur dont vous achetez le dernier album ? Lui devons-nous 10 000 euros, 20 000 euros ? Devons-nous le payer à vie pour une oeuvre qu’il a produite il y a peut-être trente ans ?

Oui, tout travail mérite salaire. Mais aucun travail passé ne mérite un salaire éternel. Nous devrions payer correctement les artistes pour le travail artistique accompli. Si une œuvre a coûté à l’artiste 5 000 euros, c’est cela son salaire… et non pas, pour certains, les millions qu’ils reçoivent après avoir sorti un “tube” dont les mérites artistiques sont parfois plus que discutables !

Ceci est d’ailleurs aussi applicable au 2e argument (“Voudrions-nous que des milliers de consommateurs bénéficient de notre travail sans nous payer un sou ?”). Je doute que Stromae, Mercury, ou Universal soient bien en manque, pas plus que les quelques millions qu’un Hallyday peut toucher chaque année pour ses cachets artistiques.

La question des royalties et du copyright est complexe et importante. Il touche des millions de personnes et concerne à la fois la diffusion de l’art et de la connaissance. D’un point de vue chrétien, il ne faut pas nous limiter à des réponses faciles ou à s’appuyer trop simplement sur quelques rares versets bibliques. Notre vision biblique doit prendre de plus profondes racines. Elle doit aller jusqu’à regarder à la notion d’imitation dans la Bible.

 

2) Le seul argument qui me semble être pertinent est le premier, le fait qu’il nous faut respecter les lois. Je suis obligé d’être d’accord. Et en même temps nous pouvons aussi aller plus loin et appeler un changement de ces lois si elles ne sont pas “justes”.

Je considère personnellement que les lois sur la production et la vente artisitiques ne sont ni bénéfique à l’artiste, ni à celui qui achète, mais principalement aux maisons d’éditions.

 

3) Enfin, il est certain que nous devons nous concentrer sur l’essentiel. Le principe de sobriété est important. Personnellement je pense que parler de principe de contentement est beaucoup plus fort. Cependant, même ici, nous pouvons aller beaucoup plus loin et sans cesse remettre en question l’empire du consumérisme tout en militant pour des règles plus justes.

En faisant ainsi, nous serons aussi témoins véritables de Christ. C’est dans tous les domaines de la vie chrétienne que nous sommes appelés à être témoins de notre foi. Pas seulement lorsque nous “évangélisons”.

A mon sens, dans le domaine artistique, nous pouvons être d’autant plus témoins de Christ que nous appelons à des changements nécessaires.

 

Pour résumer, une vision chrétienne et biblique pour le développement des arts devrait prendre aussi en compted ‘autres facteurs, parmi lesquels les suivants :

1) Pousuivre une remise en question radicale de l’empire (de l’idole même) du consumérisme ;

2) Et par conséquent appeler à une modification des lois sur le copyright ;

3) De plus, encourager le mécénat dans les Eglises (et en dehors !) afin de stabiliser et dynamiser la production artistique.

4) Enfin, développer une théologie biblique de l’imitation et l’appliquer à la production artistique. Dans cette théologie de l’imitation fondée sur l’Ecriture, nous découvrirons que donner et partager librement est une donnée cruciale de notre vie humaine. Imiter (et non copier) fait partie de notre création à l’image de Dieu. Ainsi, imiter consciemment, c’est aussi témoigner de notre foi.

 

J’avais pensé l’année dernière écrire un article plus long à ce sujet. Peut-être que le temps est enfin venu…

 

 

YH

 

 

 

 

Notes et références :

 

(1) L’auteur ne le dit jamais en si peu de mot, mais il me semble que c’est le cas. Si jamais j’ai mal représenté sa position, je m’en excuse !

(2) Voir par exemple Vern Poythress, “Copyrights and Copying: Why the Laws Should Be Changed.”

 

 

 

 

 

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Yannick Imbert est professeur d'apologétique à la Faculté Jean Calvin (Aix-en-Provence). Il est l'auteur de plusieurs livres dont une introduction à l'apologétique (aux éditions Kerygma/Excelsis). Il blogue sur “De la grâce dans l'encrier”. Yannick anime également le blog d'apologétique culturelle Visio Mundus.