La Bible contient-elle des exemples de femmes vouées à diriger le peuple de Dieu ?

Cette série d’articles rend compte de mon intervention lors de la journée « Points Chauds » du 2 mai 2019 au Centre de Formation du Bienenberg. Pour obtenir davantage d’informations quant au journées-débats « Points chauds », visitez ce lien.

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Je continue la série portant sur le complémentarisme que j’ai entamée le 2 mars 2019 à l’occasion du débat « Points Chauds » avec Marie-Noëlle Yoder. Si vous manqué les articles précédents, je vous encourage à ce stade à les reprendre du début (voir la liste en fin d’article).

Pour rappel, la thèse que je défends est la suivante : l’ensemble des passages de l’Écriture ultérieurs à Genèse 1-3 touchant directement aux questions de masculinité et de féminité font systématiquement référence aux récits bibliques des origines. Ma méthode, jusqu’ici, a donc été d’exposer en profondeur les trois premiers chapitres de l’Ancien Testament et de vérifier les procédés d’allusion à ces textes dans les passages controversées du Nouveau Testament (Eph 5; 1 Co 11; 14; 1 Tim 2).

Dans le présent article, j’aimerais interagir avec l’un des arguments égalitariens les plus populaires : celui des nombreux exemples de femmes ayant servi Dieu de manière extraordinaire que contiennent l’Ancien et le Nouveau Testament. De tels exemples sont indéniables et nous rappellent que Dieu utilise des personnes de tous horizons, sans égard à leur origine, leur sexe, leur condition sociale, etc. Complémentaristes et égalitariens équilibrés acceptent ces éléments sans réserve. Le point de désaccord se situe au niveau de l’utilisation de ces passages : les exemples de femmes aux services de Dieu dans l’AT et le NT accréditent-ils la position égalitarienne, ou sont-ils complètement compatibles avec le complémentarisme que nous défendons ?

Examinions brièvement quelques-uns des exemples les plus débattus.

 

Quelques exemples dans l’Ancien Testament

Les trois personnages les plus souvent invoqués sont sans aucun doute Deborah, Hulda, et dans une moindre mesure la femme de Proverbes 31.

 

Deborah

Commençons par Deborah, l’un des exemples les plus sollicités. Il s’agit d’une femme appelée au statut de juge à qui Dieu choisi de révéler sa Parole en des temps particulièrement troubles (Jg 4.4). Aucun indice explicite ne suggère que cet appel incluait une dimension de direction, sauf lorsque Barak la sollicite en ce sens (Jg 4.8-9). La passivité de Barak, sa crainte d’exercer pleinement son rôle et de se rendre à la guerre fait écho à la passivité d’Adam en Genèse 3, et il me paraît très difficile d’avancer que la « montée en direction » de Deborah soit présentée positivement par l’auteur/le narrateur.

Il semble que la démobilisation des chefs d’Israel fasse l’objet d’une même critique implicite dans le cantique de Deborah (cf. Juges 5.7). Deborah elle-même avertit d’ailleurs Barak qu’il n’y aura aucune gloire pour lui au travers de sa démarche, justement parce qu’il abandonne sa responsabilité de direction au profit d’une femme (Juges 4.8-9).

 

Hulda

Selon Valérie Duval-Poujol, c’est sous l’autorité de Hulda, la prophétesse, qu’aurait été menée la réforme de Josias (2 Rois 22). Si cette interprétation était avérée, nous aurions alors un exemple flagrant, dès l’Ancien Testament, d’une responsabilité de direction directement confiée par Dieu à une femme. Cependant, dans les faits, le rôle de Hulda se cantonne à annoncer une parole à quelques collaborateurs du roi Josias, et ce dans un cadre privé (son domicile, cf. 2 Rois 22.14). Sa prétendue autorité sur la réforme en cours n’est pas non plus avérée : non seulement la purification du pays avait été entamée avant même la découverte du livre de la loi dans le temple, comme le parallèle de 2 Chroniques 34 l’indique, mais en plus le contenu de la prophétie se limite à l’annonce d’un désastre s’abattant sur Juda et une parole de réconfort pour Josias lui-même.

Rien, dans la prophétie de Hulda, ne concerne la réforme elle-même, pas la moindre mention des actions en cours menées par Josias, rien qui ne puisse réellement réorienter ses démarches. La thèse de Valérie Duval-Poujol paraît bien difficile à défendre sur une base textuelle.

 

Ruth et la femme de Proverbes 31

Le personnage de Ruth témoigne d’un profond respect de la loi de Moïse, de la règle du Lévirat, et de l’ordre créationnel en général. La manière dont elle se soumet volontairement à Boaz, dont elle prend le contrepied des stratagèmes de Naomi, et dont elle assure le bonheur et la descendance de sa famille en fait une femme d’exception. Cependant, nous ne trouvons aucun réel appui à la position égalitarienne dans ce texte, bien au contraire : en laissant Boaz seul maître de son futur, elle témoigne de sa confiance en Dieu, qui l’a ainsi pourvu d’un goel, un rédempteur pour la protéger et la chérir.

Dans le canon de la Bible Hébraïque, Ruth suit Proverbes 31 et est l’expression parfaite de cette « femme de valeur » (‘esheth-hayil). Alors que pour les théologiens égalitariens, la femme de valeur est celle qui « dirige sa maison », il semble que l’auteur y voit plutôt une forme de co-gérance dans laquelle l’homme peut siéger à la porte de la ville (Prov 31.23), un signe d’autorité très marqué qui n’est pas sans évoquer la situation de Boaz en Ruth 4. Indéniablement, comme Ruth, la femme de Proverbes 31 exerçait des responsabilité, mais les quelques indices que ce texte nous offre suggère que la direction du foyer incombait, là encore, à son mari. 

 

 

Quelques exemples dans le Nouveau Testament

 

Dans l’entourage de Jésus

J’ai déjà brièvement évoqué les personnages féminins qui entouraient Jésus (voir ici). Alors même qu’il était soutenu par des femmes de valeur qui ne manquaient apparemment pas de moyens, il choisi des hommes de condition humble et souvent dysfonctionnels dans l’exercice de leur responsabilité de direction. Le simple fait qu’aucune de ces femmes ne soient appelée parmi les douze apôtres questionne l’approche égalitarienne dans son ensemble, même si je lui préfère de loin les arguments exégétiques des articles précédents.

 

Les collaboratrices de Paul

Commençons là encore par un point d’accord : Paul avait de nombreuses collaboratrices dans l’oeuvre, pour certaines des parentes ou des amies. Il n’avait aucun problème à travailler avec des personnes du sexe opposé, et l’on peut légitimement supposer que cette liberté était enracinée dans ses convictions chrétiennes et motivées par l’exemple de Christ lui-même.

Plusieurs de ces collaboratrices sont citées dans la liste de Romains 16.

J’ai déjà traité en profondeur du cas de Junia (Ro 16.7), réputée être l’exemple le plus clair d’une femme apôtre dans le Nouveau Testament (voir mon article ici).  La polyvalence du mot apostolos est rarement estimée à sa juste valeur par les théologiens égalitariens, et, de toute façon, il est bien plus probable que Junia était bien connue et estimée des apôtres, et non qu’elle en faisait partie.

Le fait que Phoebe soit diacre (Ro 16.1-2) est parfois avancé comme une preuve des responsabilité de direction qu’elle occupait. Elle avait sans nul doute un rôle important auprès de Paul et dans l’Eglise de Rome. Je n’ai aucun doute qu’elle était impliquée dans l’activité d’évangélisation et dans l’annonce de la Parole de Dieu, mais je doute que son rôle de diacre puisse être associé à une quelconque responsabilité de direction. Je ne crois pas non plus qu’il désigne l’office de diacre, que les épitre pastorales semblent limiter aux candidats masculins (« mari d’une seule femme »). V. Duval-Poujol reconnait la polysémie de ce terme, dont elle finit malgré tout par restreindre le sens, mais elle insiste sur le fait que Phoebe était une « prostasis de beaucoup ». Ce dernier terme désigne un rôle de support, à la manière des femmes qui suivaient Jésus, et il est généralement traduit de manière à rendre compte de cette idée. Valérie Duval-Poujol, invoquant une analyse lexicographique très sélective et un texte arabe tardif (9ème siècle), associe prostasis au concept de direction. Mais ce sens est loin de faire l’unanimité, surtout dans un contexte où ce sont l’assistance et l’aide offertes par Phoebe qui sont soulignées.

Enfin, on insiste beaucoup sur le fait que Prisca soit mentionnée avant son mari, Aquilas. Cela suggère éventuellement son importance, mais rien n’indique que cela soit un argument en faveur de sa prééminence dans le couple missionnaire.

 

Les données narratives de ce type sont souvent peu exploitables : d’une part, elles sont descriptives et non prescriptives, de l’autre elles n’ont pas été écrites dans le but de régler la controverse complémentarisme/égalitatisme. C’est pourtant ces textes qui sont le plus souvent mis en avant, comme une démonstration du bien fondé de l’exégèse égalitarienne. Je n’y trouve aucun argument très convaincant, pour ma part.

 

 

 

Retrouvez l’ensemble des articles de cette série :

  1. Qu’est-ce que l’image de Dieu a à voir avec le complémentarisme ? (Gn 1)
  2. Genèse 2 : la création de la femme et la responsabilité de direction de l’homme (Gn 2)
  3. Comment la chute a-t-elle modifié les relations entre les femmes et les hommes ? (Gn 3)
  4. Le complémentarisme et l’intertextualité (AT/NT ; Eph 5)
  5. L’homme est-il le « chef » de la femme ? (1 Co 11)
  6. « Que les femmes se taisent dans les assemblées ? » —Vraiment ?! (1 Co 14)
  7. « Je défends à la femme d’enseigner » (1 Tim 2)

 

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Guillaume Bourin est co-fondateur du blog Le Bon Combat et directeur des formations #Transmettre. Docteur en théologie (Ph.D., University of Aberdeen, 2021), il est l'auteur du livre Je répandrai sur vous une eau pure : perspectives bibliques sur la régénération baptismale (2018, Éditions Impact Academia) et a contribué à plusieurs ouvrages collectifs. Guillaume est marié à Elodie et est l'heureux papa de Jules et de Maël