La critique textuelle est-elle une menace à la défense de l’inerrance de la Bible ?

Commençons par un court mot d’introduction. Suite à mon intervention sur l’absence de la pericope adulterae (PA, Jean 7.53-8.11) dans les manuscrits originaux de Jean, certaines personnes se sont senties attaquées dans leur conviction sur l’inerrance et l’autorité du canon biblique.

Tout d’abord, je voudrais simplement dire à ces personnes que leur réaction est tout à fait normale et même très positive.

En effet, tout comme moi, vous croyez à l’inerrance et à l’infaillibilité des 66 livres du canon biblique, et c’est ainsi une réaction de défense tout à fait normale et saine que de regarder d’un œil « critique » une personne qui remettrait en question la légitimité d’un texte biblique. Après tout, nous sommes le peuple de la nouvelle alliance et notre document allianciel n’est rien d’autre que l’ensemble des 66 livres du canon biblique qui sont le fruit d’une inspiration plénière verbale accomplie par le Saint-Esprit chez des auteurs humains. La question de la légitimité de la PA n’est donc pas une remise en cause des doctrines de l’inerrance et de l’inspiration biblique, mais bien plutôt une question d’ordre historique et archéologique.

C’est cette différence de catégorie que je voudrais modestement essayer de vous partager et ceci dans l’espérance que votre confiance en la Parole de Dieu puisse grandir encore plus.  Ceci je le ferai en essayant d’être le plus simple et le plus concis, et donc je suis conscient que quelques fois je devrais donner simplement des grandes lignes explicatives sans rentrer dans le détail.

 

 

Mais au fait, d’où vient ma bible ?

Avez-vous déjà annoncé l’évangile à des musulmans ? Si tel est le cas, vous avez dut remarquer comme moi que l’un de leurs arguments avancés pour rejeter les écrits bibliques est d’affirmer que notre bible est « corrompue » (alors que le Coran encourage à les lire). D’ailleurs si vous parlez à des apologètes musulmans, ils pourront même vous donner des endroits exacts de possibles « corruptions ». C’est d’ailleurs ce qu’entreprend tristement depuis plusieurs années un ancien évangélique, Bart Erhman, étudiant du grand théologien Bruce Metzger.

En tant que disciples de Jésus-Christ, nous avons reçus l’appel d’être toujours prêt à donner une raison de l’espérance de notre foi. Alors, comment répondre à ces questions ?

Vous pourriez répondre : Je crois que la Bible est la Parole de Dieu.

Cette réponse est juste et vraie : elle est le fruit du témoignage du Saint-Esprit dans votre cœur comme le souligne avec clarté la confession de Westminster. Mais vous vous devez de reconnaitre qu’elle demeure incomplète du point de vue de la personne qui vous a posé la question. Il ne faut jamais oublier que, dans une discussion, c’est une preuve d’amour au sein de notre apologétique de prendre comme point de départ le point de départ de notre interlocuteur pour le faire ensuite cheminer avec nous dans l’amour et la grâce vers la gloire du Christ crucifié et ressuscité.

Ainsi, reprenons le point de départ : La Bible est-elle corrompue ? Bien sûr que non ! Mais, encore faut-il le prouver ! (Notez bien ici que la question par laquelle je commence n’est pas : Est-ce que la Bible est vraie ?)

Lorsque vous ouvrez votre bible Louis second (ou tout autre bonne traduction), vous lirez : « La Sainte Bible, traduit des textes originaux hébreu et grec ».

Tiens donc, ceci est intéressant :

  1. Notre bible est une traduction,
  2. Notre bible est une traduction de manuscrits originaux hébreu et grec.

Est-ce que vous comprenez les énormes applications que possède une telle phrase, une phrase qui je le rappelle est le sous-titre de votre bible, de ma bible…cette parole de Dieu inerrante et infaillible.

 

Tout d’abord, ceci veut dire que vous lisez une traduction

En effet, la Bible n’a pas été écrit en français…bien que beaucoup pensent que le français est la langue du ciel car il faut une éternité pour l’apprendre ! Mais revenons à nos moutons… La bible que vous lisez chaque matin est une traduction de manuscrits originaux hébreu et grec.

Certains linguistes aiment bien affirmer que « traduire c’est trahir ». Cependant, une telle réaction est exagérée. La traduction n’est pas une trahison, mais la traduction nous permet d’avoir accès au texte au sein de notre contexte, le contexte du lecteur. Alors certaines personnes influencées par le postmodernisme et le relativisme aiment affirmer que cette entreprise de traduire la bible et de la comprendre pour nous aujourd’hui est une entreprise vouée à l’échec car nous sommes prisonniers, au niveau de notre connaissance, de notre culture. Lorsqu’un tel argument m’est donné, je dois avouer que j’ai de plus en plus de peine pour ces personnes car leurs prémisses ne sont pas acceptables du point de vue de la logique et de la linguistique. Mais ceci serait le sujet d’un autre article.

Non, le chrétien peut avoir la ferme assurance que la traduction qu’il possède lui permet d’avoir accès dans sa langue à l’écrit original. Cependant, il est vrai que les textes hébreux et grecs nous permettent de voir plus de nuances. Permettez-moi d’utiliser la comparaison qui me fut donnée par mon professeur de Nouveau Testament : Lorsque nous lisons un texte biblique traduit, c’est comme si nous regardions un film en noir et blanc. Lorsque nous lisons un texte en grec, c’est comme si nous regardions ce même film en couleur et en format HD 4K. Connaitre les langues originales vous permet de pouvoir avoir accès à certaines nuances et certaines profondeurs que quelques fois la traduction a des difficultés à transmettre.

 

Ensuite, votre bible, ma bible est une traduction de manuscrits originaux écrits en hébreu et en grec

Manuscrits originaux ? Mais qu’est-ce que c’est que cela ?

En effet, nous ne possédons pas « un » manuscrit grec pour le Nouveau Testament (NT)…en fait, nous en possédons plus de 5800. Et bien sûr ce ne sont pas des manuscrits qui possèdent à chaque fois l’entièreté du NT. Et bien mes amis, vous venez d’entrer avec un peu de violence, et je m’en excuse, dans la réalité du monde de la critique textuelle…et cela dés la première page de votre bible…et cela sans vous en rendre compte. En fait, nous ne devons pas oublier que notre NT est la conséquence d’une œuvre de traduction exécutée à partir d’un manuscrit qui est lui-même une compilation organisée et mesurée de plusieurs milliers de manuscrits grecs.

Mais attention, le terme « original » pourrait être trompeur. En effet, nous ne possédons aucun manuscrit « original » autographe, c’est-à-dire que nous ne possédons aucun manuscrit écrit par les mains de Jean, de Paul, de Pierre…Mais ce n’est pas grave, car dans la providence de Dieu, nous possédons des copies de copies qui ont été faites par des scribes.

En effet, réfléchissez un moment : Est-il préférable de posséder un seul manuscrit pour lequel il faudra toujours défendre l’authenticité car il en coutera toujours la véracité et la canonicité de notre bible…ou, est-il préférable de posséder des milliers de copies réalisées à des endroits différents, par des scribes différents et ce sur plusieurs centaines d’années ? Cette deuxième solution est de loin la meilleure car cela permet à l’église de posséder un matériel important pour toujours s’assurer de l’originalité des écrits bibliques…en fait, pour être plus précis, elle est la meilleur car c’est ainsi que Dieu décida d’œuvrer au sein de l’histoire pour préserver ses écrits et ainsi faire en sorte qu’aucune de « ses » paroles ne tombe jamais à terre.

Quoi qu’il en soit, ceci est la réalité qui se cache derrière ce petit sous-titre qui se trouve au début de votre bible, de ma bible.

 

 

L’exercice de la providence de Dieu au travers de la recherche textuelle

Nous serons alors tous d’accord qu’à ce point-ci de notre réflexion, nous ne pouvons que souligner l’importance de l’usage que nous allons faire de ces manuscrits pour pouvoir à juste titre reconstituer de façon authentique les manuscrits « originaux » tel que l’ont écrit les auteurs apostoliques.

Et bien, c’est ici qu’intervient cette science que l’on nomme la « critique textuelle ». Cette démarche ne se pose pas la question de savoir ce qui est canonique et ce qui ne l’est pas. Pas du tout !  C’est une démarche à la fois historique, archéologique et linguistique qui a pour but ultime de reconstituer adroitement un écrit original (l’autographe) à partir des copies manuscrites à sa disposition. Historiquement, nous pourrions retracer une des origines d’une telle démarche à Jimenez de Cisneros en Espagne (1514) et à Erasme (1516). Il est important de souligner que l’entreprise d’Erasme était surtout de corriger les erreurs qui s’étaient glissé dans la traduction de Jérôme, la Vulgate (Ve siècle) !

Bref, la critique textuelle est une science qui, dans la providence de Dieu, nous permet alors de pouvoir reconstituer les écrits originaux.

 

 

 

 

Quel est le lien entre la critique textuelle et la canonisation des écritures ?

Malheureusement, beaucoup de chrétiens confondent les deux. Cependant il est nécessaire d’apprendre à les distinguer sans trop les séparer (notre bon vieux principe du concile de Chalcédoine).

En effet, le processus de canonisation, dans la tradition réformée qui est la nôtre, soutient que c’est avant tout le processus par lequel nous « recevons » et « reconnaissons » l’autorité des écrits biblique, écrits qui possèdent en eux-mêmes une caractéristique normative pour notre vie en tant que « Parole de Dieu ». Ce processus ne dépend donc pas ultimement d’un concile ou d’une autorité papale, mais il dépend du témoignage du Saint-Esprit au sein de la communauté ecclésiale, témoignage qui authentifie la Parole de Dieu : la voix du Berger (Jn 10).

Ce processus « d’auto-attestation » est alors fondamental pour comprendre le processus de canonisation. Ainsi, les conciles du IIIe et IVe siècle sont alors à considérer comme des témoins de cette auto-attestation dans les églises du bassin méditerranéen…et non comme les autorités qui décidèrent de ce qui était canonique ou non. Il y a souvent une confusion à propos de cela dans le monde évangélique.

La critique textuelle ne se pose donc pas la question de cette auto-attestation, elle se pose une simple question de type « archéologique » : Mais quels étaient donc les manuscrits originaux du NT qui furent copiés et distribués dans le bassin méditerranéen et qui furent le médium fondamental par lequel cette auto-attestation eut lieu ?

 

 

Revenons à notre question de base sur la pericope adulterae…

Maintenant, dépassons la page 1 de notre bible sur laquelle se trouvait ce fameux « sous-titre » tellement dense en signification, pour aller à la fin du chapitre 7 de Jean, et plus particulièrement au verset 53.

Tiens…c’est étrange…des « crochets » …des crochets qui se trouvent avant le verset 53 et qui se trouvent après le verset 11 du chapitre 8. Pourtant les « crochets » ne sont pas des signes utilisés dans le grec koine. Plus que cela, au verset 11, vous trouvez une petite lettre qui vous renvoie à une note en bas de la page et vous lisez : « Ce passage entre crochets est absent des meilleurs manuscrits ».

A nouveau, bienvenue dans le monde de la critique textuelle…

En effet, ces douze versets manquent dans les manuscrits grecs onciaux (en majuscules) antérieurs au Ve siècle. Mais qu’est-ce que cela veut dire ?

Cela veut simplement dire qu’aujourd’hui, nous ne possédons aucun manuscrit grec de Jean qui daterait du Ie, IIe, IIIe, IVe siècle et qui incluraient ce passage. Il est donc raisonnable de penser que durant 4 siècles (et je suis très gentil…), l’église primitive, lorsqu’elle lisait des manuscrits de Jean, passait directement de Jean 7.52 à Jean 8.12. C’est d’ailleurs ce que l’on retrouve dans la majorité (et je suis encore très gentil…) des écrits patristiques de cette période.

Oui, il y aurait certaines parties de l’histoire de la PA qui serait dans un document non biblique du IIIe siècle (Didascalia apostolorum)cependant, cela ne légitime en aucun cas le fait d’affirmer alors que la PA était originellement dans l’épitre de Jean. Cela pourrait être plutôt une tradition orale vraie et antique (l’hypothèse que je préfère, mais qui, soyons honnêtes, n’est pas trop vérifiable).

En fait, nous ne trouverons la PA qu’à partir du Ve siècle dans le manuscrit qui porte le nom de codex Bezae, mais aussi dans la traduction latine de la vulgate accomplie par Jérôme. Puis, la PA apparaitra de façon plus dense dans des manuscrits tardifs grecs écrits en minuscules à partir de l’époque médiévale.

Alors…faisons un simple exercice…imaginez que vous êtes le chercheur responsable de décider si la PA faisait partie des manuscrits originaux. Vous remarquez que la PA est absente des meilleurs manuscrits les plus vieux : les manuscrits P66, P75, codex Sinaiticus et Vaticanus. Vous savez que la majorité des commentateurs grecs des premiers siècles n’inclurent jamais la PA dans leurs commentaires. Vous remarquez aussi que la PA ne se trouve pas souvent à la même place dans les manuscrits médiévaux qui l’incluent. Et dans ces manuscrits, la PA est annotée avec un astérisque qui souligne souvent l’incertitude du scribe qui est en train de faire la copie vis-à-vis de l’authenticité du texte.

Qu’est-ce que vous faites ? C’est une question importante, car vous savez que dans l’autre pièce se trouve le comité de traduction qui attend votre manuscrit pour le traduire et l’imprimer pour des églises du monde entier ? Quel sera le « principe de précaution » que vous utiliserez pour ne rien « ajouter » ou ne rien « retrancher » à la Parole de Dieu ? Est-ce que vous allez le laisser parce qu’il vous plait ou parce que des évêques et des théologiens du IVe siècle (qui n’ont pas toujours dit des choses justes et qui ne sont pas « infaillibles ») affirment que c’est un texte qui a été enlevé ? Alors que nous ne possédons aujourd’hui aucun manuscrit précoce pour valider leurs affirmations …..

La question n’est pas facile…et j’espère que vous commencez à comprendre que cette question n’est pas triviale et n’a rien à voir avec la question de l’inerrance biblique !

Ainsi, de nos jours, mis à part quelques chercheurs, il existe un consensus dans le monde de la recherche textuelle : Nous ne pouvons pas affirmer que la PA est un texte que l’apôtre Jean a écrit…car nous manquons de preuves manuscrites précoces qui nous permettraient d’affirmer cela.

 

 

Revenons à la question de l’inerrance et du canon biblique

Essayons de résumer notre parcours théologique depuis le début de l’article (en focalisant sur le NT) :

1. Nous croyons que Dieu a surnaturellement conduit l’écriture du NT au travers d’écrivains et d’auteurs humains apostoliques (Inspiration plénière verbale).

2. Nous croyons que depuis l’église primitive, l’église a su reconnaitre la « voix » de son Berger au travers de ces manuscrits et les reçut alors comme « canoniques ». Les premiers conciles sont un témoignage de ce processus d’auto-attestation.

3. Aujourd’hui, nous ne possédons aucun manuscrit original de ces auteurs apostoliques.

4. Cependant, nous possédons plusieurs milliers de copies (plus ou moins complètes) de ces manuscrits.

5. Il nous est donc possible de reconstituer les manuscrits originaux tout en prenant compte des différentes variantes textuelles.

6. La traduction que nous possédons est ainsi la traduction de cette reconstitution méthodique des manuscrits originaux par le biais des copies.

7. Alors, à notre tour, nous croyons, nous aussi, que ces écrits apostoliques, issus de ce travail de reconstruction méthodique, sont inerrants et infaillibles car ils sont « Parole de Dieu » : Nous reconnaissons nous aussi la voix de notre berger lorsque nous lisons les saintes écritures.

La question de la légitimité canonique de la PA est ainsi une question qui ne peut-être répondue qu’une fois que nous avons pu répondre à la question de l’authenticité johannique de la PA.

En fait, on pourrait résumer la question de la légitimité canonique de la PA de la façon suivante : « la PA était-elle dans les manuscrits originaux ? » Ou formulé différement, « Qu’est-ce que nous dit la « critique textuelle » à propos de cela ? » Voici quelques éléments de réponse :

1. Si la PA est une péricope authentique de Jean, alors nous considérons que cela fait partie du manuscrit original de Jean. Ainsi nous la recevons comme faisant partie de l’évangile de Jean (authentification objective) et nous la recevons comme « Parole de Dieu » (authentification subjective par la puissance du Saint-Esprit).

2. Si la PA n’est pas une péricope authentique de Jean, alors nous possédons ici un texte qui est soit

(i) Une histoire authentique qui n’a jamais été inscripturée par Jean (Jn 21.25) mais qui était connue de tous par le biais de la tradition orale. Ce qui expliquerai une insertion tardive. Cependant nous manquons de preuve objectives.
(ii) Une histoire authentique qui était dans des manuscrits de Luc précoces, mais nous n’avons pas ces manuscrits précoces de Luc.
(iii) Une histoire non-authentique qui circulait dans certaines églises de l’ouest.

 

En fait, une chose est claire : que le fardeau de trouver des preuves revient principalement aujourd’hui aux personnes qui croient à l’authenticité et l’originalité johannique de la PA.

 

 

Un mot pour conclure

J’espère que cet article vous aura aider à faire la différence entre l’originalité johannique de la PA (La question de critique textuelle : Était-ce dans le manuscrit original de Jean ?), la question canonique de la PA(Si la PA faisait originellement partie de l’évangile de Jean, est-ce que nous la recevons comme « Parole de Dieu » ?) et la question de l’inerrance de la PA (Est-ce que je considère la PA comme étant vraie, historique et sans erreurs ?).

Personnellement, je suis reconnaissant pour la critique textuelle car elle m’a permis de grandir dans ma confiance et mon assurance que les 66 livres de la Bible demeurent et demeureront la Parole inerrante et infaillible pour moi…cette manne qui matin après matin me permet d’être nourrie et de grandir dans la connaissance de Dieu le Père qui s’est manifesté par le Fils, et cela grâce à la puissance du Saint-Esprit.

A Dieu seul soit la gloire, lui qui, alors que nous étions pécheurs, a envoyé mourir sur la croix son Fils afin que nous puissions nous réjouir éternellement en Lui en étant uni au Fils par la foi, par la puissance du Saint-Esprit.

 

 

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