Comment appréhender l’éthique de l’Ancien Testament ?

Alors que Le Bon Combat entame une série de podcasts sur l’éthique biblique, voici un aperçu du livre de Christopher Wright, qui réfléchit à l’utilité de l’Ancien Testament, pour une éthique chrétienne aujourd’hui ? 1 Ce résumé ne constitue qu’un survol, de l’étude dense et détaillée que Wright déploie, au fil des 607 pages de textes et d’annotations.

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« L’auteur a choisi le terme emblématique de paradigme qui invite à concevoir l’Israël biblique comme un modèle adaptable » (Emile Nicole, in Préface à l’édition française, p.10). 2

En suivant l’interprétation de la personne de Jésus à la lumière de l’Ancien Testament (A.T.), faite par les premiers disciples, on peut envisager d’importer le cadre éthique de l’A.T., symbolisé par un triangle : Dieu (angle théologique), Israël (angle social) et le pays (angle économique). (Introduction, p.17-20)

 

 

1- Une structure pour l’éthique de l’A.T.

Suivant l’angle théologique, l’éthique de l’A.T. est centrée sur le Dieu rédempteur, tel qu’il se révèle dans l’histoire pour Israël, appelé à l’adorer en retour en se sanctifiant, par l’observation de sa Loi, révélée par ses paroles et à l’imiter dans tous les domaines de la vie. Cela exige d’appréhender le contexte historique exacte. (Chapitre 1, p.23-51)

Suivant l’angle social, on peut considérer la société et les lois d’Israël comme un paradigme, qui nous permet d’actualiser ce modèle suivant la Parole (2 Tm 3:16-17). La réponse de Dieu à la chute est d’appeler à l’existence (dès Abraham), une communauté différente, vecteur de son plan de salut pour l’humanité. (Chapitre 2, p.53-85)

L’angle économique, amène à considérer le pays, dont l’histoire se confond avec celle d’Israël. Cette terre est don et propriété de Dieu, qui y manifeste ses bénédictions signes de sa fidélité à l’alliance, mais aussi propriété du peuple, qui est tenu pour responsable de la vie économique qu’il y développe, en accord avec l’alliance. (Chapitre 3, p.87-113)

 

2- Thèmes éthiques de l’A.T.

L’interprétation paradigmatique de l’A.T. permet d’élargir le premier triangle pour en former un nouveau entre Dieu, l’humanité et la terre (récit de la création et promesse du royaume messianique). Les hommes sont appelés à être les intendants de la terre (propriété de Dieu), suivant une éthique écologique inspirée de l’A.T. La création, affectée par la chute, est intégrée à l’espérance eschatologique de rédemption. (Chapitre 4, p.117-165)

L’éthique chrétienne en économie (exploitation des richesses naturelles) est tributaire de la théologie de la création. Par le système économique de l’A.T., nous entrons en contact avec le projet de Dieu pour la vie économique planétaire, qui tend à rétablir les valeurs présentes lors de la création (partage des ressources naturelles, droits et devoirs du travailleur, promesse de croissance, répartition équitable des fruits). (Chapitre 5, p.167-209)

Israël et son pays sont le prototype théologique de la nouvelle création. La méthode paradigmatique fournit les principes économiques (cf. jubilé), tandis que les méthodes typologiques et eschatologiques offrent une promesse accomplie en Christ et bientôt instaurée sur la terre par son avènement. Ceci permet d’appliquer l’éthique de l’A.T. aux préoccupations chrétiennes (Église, monde et avenir). (Chapitre 6, p.211-245)

Le Nouveau Testament (N.T.) présente l’oeuvre de Jésus en des termes politiques radicaux, aux conséquences universelles. L’A.T. invite à respecter et servir les autorités politiques humaines, dans certaines limites. Il offre la vision ultime d’une inclusion de toutes les nations dans le dessein de Dieu, par la création d’une humanité et d’une terre nouvelles, aussi tout ce que les humains font contribuera in fine, par la providence divine, à la gloire de cette réalité future. (Chapitre 7, p.247-295)

Dans l’A.T., la justice est d’ordre théologique, parce qu’elle renvoie Israël à l’imitation de Dieu rédempteur, dont la parfaite justice exprime la fidélité et la compassion pour les démunis. L’espérance messianique des prophètes de l’A.T. considère souvent l’accomplissement d’une ultime justice sociale cosmique, comme l’oeuvre du roi eschatologique. (Chapitre 8, p.297-327)

Les dix paroles résument l’alliance et définissent le périmètre comportemental où s’énonce le reste des lois, dont il convient d’extraire la pertinence éthique. Pour ce faire, il faut en questionner le sens historique par une classification fonctionnelle : lois pénale et criminelle (crimes contre la communauté), casuistique (entre citoyens), familiale (fonctions judiciaires de la famille), cultuelle (sacrifices), calendaire (sabbats, etc.), symbolique (distinction saint-profane), de bienfaisance (incitation à la compassion). La justice est administrée au sein de la famille élargie, puis par la réunion des patriarches familiaux à la porte des villes. L’échelle des valeurs part de Dieu (Dt 6:4-5), pour aller vers le prochain (Lv 19:18, vie humaine sacrée, car image de Dieu), puis les biens.

Nous devons percevoir la continuité de ces principes moraux jusqu’à nous, de même que nous sommes associés spirituellement à l’oeuvre de Christ. Comme dans le N.T., la foi et l’éthique reposent sur la grâce et la rédemption divines. Il faut donc distinguer chaque loi, en analyser la fonction, en définir l’objectif original, puis le préserver en changeant de contexte. (Chapitre 9, p.329-381)

L’A.T. gradue les rapports du croyant aux cultures humaines : le « rejet total » de l’idolâtrie, la « tolérance conditionnelle » de certaines coutumes, modulées par la Loi (polygamie, divorce, esclavage), « l’acceptation critique » de la « structure familiale tripartite » comme ossature de la société (la maison du père, famille élargie constituée de ceux qui vivent dans la maisonnée d’un même ancêtre encore en vie ; le clan, groupe de maisons paternelles apparentées, portant le nom d’un des petit-fils de Jacob, protège les familles ; la tribu porte le nom d’un des fils de Jacob et possède un territoire). L’unité maisonnée-terre se situe au centre du triangle « Dieu – Israël – pays ».

Ainsi, le chrétien est invité à ces trois attitudes :

  • Le rejet total (idolâtrie, atteinte aux personnes,…),
  • La tolérance conditionnelle (divorce, Mt 19:8),
  • L’acceptation critique d’aspects de la vie contemporaine, comme l’Église l’a toujours fait pour délivrer son message.

Cet enseignement de l’A.T. s’applique aux familles comme à l’Église locale (famille de Dieu). Il  encourage la dignité sociale des familles, leur autonomie économique et la possibilité qu’elles doivent offrir d’entendre le message de la rédemption divine. Le disciple subordonne ses liens familiaux à la priorité du royaume. (Chapitre 10, p.383-423)

Dans l’A.T., l’éthique personnelle s’inscrit dans le cadre de l’alliance communautaire. Les exigences morales de la Loi s’adressent à la fois à la communauté et à chaque individu, renforcées par la lecture des grands récits historiques, lors des cultes. L’A.T. est conscient de l’échec éthique de l’homme, associé à la grâce du pardon divin. (Chapitre 11, p.425-446)

 

3- Étudier l’éthique de l’A.T.

L’histoire de l’Église compte trois grandes positions herméneutiques à propos de l’A.T. :

  1.  Marcion qui rejette l’A.T. au profit de celui [qu’il pense] révélé en Christ ;
  2. Les Pères alexandrins (Clément, Origène), qui affectionnent l’allégorie, mais soulignent la continuité entre les deux Testaments ;
  3. Les Pères antiochiens (Jean Chrysostome,…), qui insistent sur le N.T., qui accomplit et outrepasse l’A.T.

Comme ces derniers, Luther subordonne sa compréhension de l’A.T. à celle qu’il a de la grâce et du salut en Christ. Calvin revient à l’approche alexandrine (moins l’allégorie), en affirmant qu’une seule « alliance salvatrice de grâce » court dans la Bible, depuis Abraham. Pour lui, la Loi présente une justice universellement applicable.

Les anabaptistes (Menno) parfois accusés de marcionisme, prônent la communauté des vrais croyants (l’Église), distincte de toute institution séculière et de l’État-nation d’Israël (d’où pacifisme et rejet du pédobaptisme).

Le dispensationalisme (Darby) oppose grâce et Loi et divise l’histoire de la rédemption en dispensations. Son prémillénariste (avènement de la justice lors du millenium) atténue la pertinence de l’éthique sociale de l’A.T.

Le théonomisme « exalte l’A.T. comme l’expression perpétuellement valide de la volonté morale de Dieu pour toutes les sociétés » (sauf abrogation explicite par le N.T.). Son reconstructionisme (Rushdoony,…) tente de promouvoir une juste domination politique et sociale (eschatologie postmillénariste).

Le Jubilee Centre, de Cambridge UK (Schulter), propose un relationisme, qui prend l’A.T. comme autorité normative en matière d’éthique sociale et familiale.

Le judaïsme messianique réunit des chrétiens, qui affirment leur identité juive, jusque dans leur culte et incluent la « Torah du Messie » (N.T.) à celle de l’A.T. (Chapitre 12, p.449-481)

 

Parmi les auteurs contemporains sur le sujet, on distingue ceux qui ont une approche respectueuse de l’autorité éthique divine de l’A.T. (Brueggemann, Barton, Goldingay, Kaiser, Clements, Childs, Wenham,…), des autres (Gottwald, D. Penchansky, C. Rod,…). (Chapitre 13, p.483-515)

Pour définir l’autorité éthique de l’A.T., il faut prendre au sérieux l’approche historique, s’interroger sur l’auteur du texte et accepter l’autorité divine de l’A.T. sur nos propres appréciations. L’approche idéologique (foi en Dieu, en la révélation scripturaire, en la pertinence éthique de l’A.T.) conditionne l’analyse du texte. Les éléments de l’autorité de l’A.T. convergent en Jésus (notre Dieu, notre histoire, sa Parole, son peuple), ce qui oriente notre éthique. (Chapitre 14, p. p.517-553)

Le traitement infligé à Canaan ne contredit pas l’éthique de l’A.T., car Israël, comme les nations, ont été et seront soumis à un jugement divin comparable. De plus, la conquête de Canaan a une portée limitée, est relatée par une rhétorique qui exagère la réalité, s’inscrit dans l’exercice de la justice divine, révèle que « Dieu demeure le juge ultime de toute l’humanité – nations et individus » – et annonce le jugement final comme un archétype. (Annexes, p.555-563)

 

 

Notes et références

1 Le titre original est : Old Testament Ethics for the People of God.

2 Numéros de chapitres et pagination renvoient à l’édition en français chez Excelsis (2007).

 

 

 

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Frédéric Bican est pasteur à Grasse et chargé de cours à l’Institut Biblique de Genève. Il exerce actuellement les fonctions de président de l’Action Biblique de France, et il est membre du comité du réseau FEF.