De la doctrine de l’auto-attestation des Écritures

 

Article de Michael J. Kruger initialement publié sur son blog le 25 avril 2022. Taduction : D. Orchanian.

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Comment savoir quels sont les livres de la Bible inspirés par Dieu, et ceux qui ne le sont pas ? Tout d’abord, les origines apostoliques d’un livre peuvent aider à l’identifier comme étant de Dieu (voir cet article en anglais). Ensuite, le consensus général de l’Église sur un livre donné peut aussi contribuer à l’identifier comme venant de Dieu (voir cet autre article, lui aussi en anglais).

Mais les théologiens chrétiens – notamment dans le camp réformé – soutiennent depuis longtemps qu’il existe un moyen plus solide, fondamental, de déterminer l’inspiration divine des livres : leurs qualités internes. Plus précisément, ils soutiennent que ces livres présentent certains attributs (indicia en latin) qui les distinguent comme étant inspirés de Dieu. Selon eux, c’est dans ces livres particuliers que les croyants entendent la voix de leur Seigneur. Pour user de catégories théologiques modernes, ils défendaient l’idée selon laquelle les livres canoniques s’auto-attestent. Comme Jésus le dit en Jean 10.27 : « Mes brebis entendent ma voix ; je les connais, et elles me suivent. »

Quiconque connaît les auteurs de l’époque de la Réforme sait que cet argument était des débats sur la doctrine des Écritures chez Jean Calvin, William Whitaker, John Owen et d’autres. Le principe d’auto-attestation est également présente dans la Confession de Foi de Westminster, qui affirme que la Bible « s’authentifie elle-même », prouvant son origine divine par ses propres qualités internes (1.5). En outre, le concept d’une Bible qui s’auto-atteste tenait une place centrale dans la pensée des réformés ultérieurs, en particulier Herman Bavinck, quand ils cherchaient à expliquer comment savoir si les livres bibliques viennent de Dieu.

Certains se demanderont si toute cette idée d’une Bible qui « s’auto-authentifie » n’est pas une invention des réformés. Auraient-ils inventé le concept pour s’en servir d’outil dans leur lutte contre Rome ? Absolument pas. En revenant en arrière, même à la période patristique, on voit cette idée déjà présente et établie.

Voici quelques exemples.

Origène affirme clairement que les qualités divines des livres jouent un rôle dans leur authentification :

« Si quelqu’un médite les paroles prophétiques… il est certain que par l’acte même de les lire et de les étudier avec diligence, son esprit et ses sentiments seront touchés par un souffle divin, et il reconnaîtra que les mots sous ses yeux ne sont pas des paroles d’homme, mais le langage de Dieu » (Princ. 4.1.6). Origène indique par ailleurs que les prophètes de l’Ancien Testament « suffisent à produire la foi chez ceux qui les lisent », et l’Évangile offre ainsi une « démonstration qui lui est particulière » (Cels. 2.1).

 

On retrouve des développements similaires dans d’autres écrits d’Origène, par exemple quand il défend la canonicité du livre de Jude en affirmant qu’il est « rempli des paroles salutaires de la grâce céleste » (Comm. Matt. 10.17), ou quand il défend les évangiles canoniques en raison de leur « merveilles véritablement divines » (Cels. 3.21). Il défend même la canonicité de la lettre aux Hébreux en affirmant que « les idées de l’épître sont magnifiques » (Hist. Eccl. 6.25.12).

Tatien est très clair sur le rôle des qualités internes des livres bibliques :

… Il m’arriva de croire en [les Écritures], à cause de la simplicité du style, du naturel des narrateurs, de l’intelligence claire qu’ils donnent de la création du monde, de la prédiction de l’avenir, de l’excellence des préceptes
(Discours aux Grecs, 29).

 

Jérôme défendait l’épître à Philémon, « un document qui contient en lui-même tant de beauté de l’Évangile », qui est la « marque de son inspiration » (Prologue Phm). Il en appelle aussi à la puissance des paroles des Écritures quand il défend l’épître de Jude contre les critiques. Ceux qui rejettent Jude, écrit-il, « échouent à comprendre le pouvoir et la sagesse qui se cachent derrière chacun de ces mots » (Préface, Comm. Philm).

Jean Chrysostome déclare que l’évangile de Jean ne contient « ni déguisement, ni fiction, ni mensonge », car la voix de l’évangile « fait entendre une harmonie plus salutaire et plus douce que le son de la harpe ou de la musique la plus mélodieuse… quelque chose de grand et de sublime. » (Hom. Jn. 1.2).

Avant de citer Matthieu 4.17 et Philippiens 4.5, Clément d’Alexandrie affirme qu’il est possible de distinguer les paroles des hommes de celles de l’Écriture car « quelles que soient les exhortations des autres saints, jamais elles ne produiront sur nous la même impression que le Seigneur lui-même » (Protr. 9).

Clément d’Alexandrie, encore, après avoir déclaré que la voix de Dieu est la démonstration la plus sûre de la divinité de l’Écriture, illustre ce principe en faisant appel à l’histoire des sirènes : « Ainsi les sirènes, avec leurs chants d’une puissance surhumaine, saisissaient d’admiration les passants, et, malgré leur résistance, les attiraient à elles par la séduction de leurs voix. » (Strom. 2.2.). L’idée est limpide : la parole de Dieu, par son pouvoir presque irrésistible, convainc les hommes de l’accepter.

On voit bien par ces exemples (et il en existe bien d’autres) que les premiers pères de l’Église avaient la certitude que la preuve de la canonicité d’un livre se trouve dans le livre lui-même. Autrement dit, les livres canoniques s’auto-authentifient.

 

Bien entendu, à ce stade, on peut émettre une objection : si ces livres contiennent des qualités internes, comment expliquer leur rejet par tant de personnes ? Pourquoi ces qualités ne sont-elles pas reconnues de tous ?

C’est là le rôle du Saint-Esprit : aider chaque personne à voir ce que le texte contient objectivement. La raison même étant corrompue par le péché (Rm 3.10-18), l’être humain ne peut reconnaître les qualités internes des livres bibliques sans le testimonium spiritus sancti internum, le témoignage interne du Saint-Esprit.

Il va sans dire que cette explication sera peu convaincante aux yeux du non-chrétien. « N’est-il pas commode, voire suspect », dira-t-il, « que les chrétiens prétendent être les seuls capables de voir la vérité dans ces livres, mais que le reste du monde y soit aveugle ? Ça semble trop facile. »

Cette objection est compréhensible. Toutefois, si les doctrines chrétiennes sur la chute, le péché originel et la corruption du cœur humain sont vraies, il est tout à fait logique qu’une personne sans l’Esprit ne puisse discerner sa présence (par exemple, si l’Esprit parle par un livre).

De plus, ce n’est pas si différent de certaines réalités comme le fait que certaines personnes n’ont pas l’oreille musicale et ne peuvent discerner la justesse des notes. On pourrait imaginer une telle personne objecter que « toute cette histoire de ‘sonner juste’ n’est qu’une mascarade montée de toute pièce par quelques initiés qui prétendent avoir la capacité spéciale d’entendre ces choses ». Mais malgré ces protestations, la réalité reste inchangée : la justesse musicale existe bel et bien, que cette personne soit capable de l’entendre ou non.

En fin de compte, les pères de l’Église nous enseignent une vérité essentielle : le canon du Nouveau Testament qui nous est parvenu aujourd’hui n’est dû ni aux stratagèmes de dirigeants ecclésiastiques ultérieurs, ni à l’influence politique de Constantin, mais bel et bien au fait que ces livres se sont imposés d’eux-mêmes à l’Église par leurs qualités internes. En d’autres termes, ces livres étaient les plus utilisés car ils ont prouvé être dignes d’être utilisés.

Ou, comme disait Arthur Darby Nock, professeur à Harvard, à propos de la formation du canon : « Les routes les plus empruntées d’Europe sont les meilleures ; c’est pourquoi elles sont si empruntées. ».

 

 

 

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