Non, Jésus n’est pas né dans une étable
Article de Ian Paul (Fuller Seminary) publié initialement sur le blog de Tyndale House le 8 décembre 2021.
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Imaginez la nativité de Jésus. La ville de Bethléem demeure immobile sous le clair de lune, ignorant totalement que le fils de Dieu est né dans l’une de ses pauvres et modestes dépendances. Dans une ruelle anonyme, à l’abri des regards, se trouve une étable pleine de courants d’air. À l’intérieur, réchauffée par la chaleur des animaux, une famille est assise tranquillement. Un âne, une vache et un bœuf reposent sereinement à côté de la scène. La vache meugle doucement tandis que le bébé s’agite dans la mangeoire remplie de paille . Marie et Joseph sont silencieux, agenouillés devant l’enfant, un agneau près d’eux.
Tout est calme mais… quelque chose ne va pas.
Je suis désolé de gâcher cette scène, mais Jésus n’est pas né dans une étable et, curieusement, rien dans le Nouveau Testament n’indique que cela aurait pu être le cas. Cela risque de faire voler en éclats les cartes de Noël et de supprimer quelques personnages de la crèche des enfants, mais cela vaut la peine d’y prêter attention.
Cette idée ancienne montre à quel point nous lisons les Écritures à travers le prisme de nos propres hypothèses, de notre culture et de nos traditions, et à quel point il peut être difficile de lire avec attention des textes bien connus, en cherchant à identifier ce qu’ils disent réellement. Elle met également en évidence le pouvoir des traditions et leur résistance au changement. En réalité, la croyance selon laquelle Jésus était solitaire et abattu, rejeté parmi les animaux et mis à l’écart dès sa naissance, ignore le caractère profondément disruptif de la naissance de Jésus. Alors, d’où vient cette idée ?
Je l’attribuerais à trois facteurs : la construction traditionnelle, les questions de grammaire et de sens, et la méconnaissance de la culture palestinienne du premier siècle.
La construction traditionnelle
Elle provient d’une lecture de l’histoire de la nativité combinée à une compréhension « messianique » d’Esaïe 1:3 : « Le bœuf connaît son maître, l’âne la crèche de son maître, mais Israël ne sait pas, mon peuple ne comprend pas ».
La mention d’une « mangeoire » dans le récit de la nativité de Luc, suggérant la présence d’animaux, a conduit les illustrateurs médiévaux à représenter le bœuf et l’âne reconnaissant l’enfant Jésus, de sorte que le cadre naturel était une étable – après tout, n’est-ce pas là qu’on garde les animaux ? Nous verrons plus loin pourquoi ce n’est pas nécessairement le cas.
Grammaire et sens
C’est peut être ici le cœur du problème : la traduction du mot grec kataluma dans Luc 2.7. Certaines versions le traduisent par « auberge » ou « hôtellerie » : « Elle mit au monde son fils premier-né, l’emmaillota et le coucha dans une crèche, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie. » Il y a une raison à cela : le mot est utilisé dans l’Ancien Testament grec (une traduction grecque de l’Ancien Testament datant du deuxième siècle avant Jésus-Christ, connue sous le nom de Septante ou LXX) pour traduire un terme désignant un lieu public dédié à l’hospitalité (par exemple, Exode 4:24 et 1 Samuel 9:22). L’étymologie du mot est d’ailleurs assez générale. Il vient de kataluo qui signifie « détacher » ou « délier », c’est-à-dire déferrer ses chevaux et détacher son paquetage.
Mais certains indices décisifs témoignent d’une autre utilisation : kataluma désigne la pièce privée « supérieure » où Jésus et les disciples prennent le « dernier repas » (Marc 14:14 et Luc 22:11 ; Matthieu ne mentionne pas cette pièce). Il s’agit clairement d’une salle de réception dans une maison individuelle. À contrario, lorsque Luc mentionne une « auberge », dans la parabole du bon samaritain (Luc 10:34), il utilise un terme plus général, pandocheion, qui signifie un lieu où tous les voyageurs sont reçus, comme un caravansérail ou une auberge de bord de route.
Contexte socio-historique
La troisième question concerne notre compréhension, ou plutôt notre ignorance, du contexte historique et social de l’histoire de la nativité. En premier lieu, il serait impensable que Joseph, revenant sur le lieu de ses origines ancestrales, ne soit pas reçu par des membres de sa famille, quand bien même il ne s’agirait pas de parents proches. Kenneth Bailey, qui est renommé pour ses études sur la culture palestinienne du premier siècle, commente :
« Même s’il n’avait jamais été là auparavant, il peut apparaître soudainement dans la maison d’un cousin éloigné, réciter sa généalogie, et il se retrouve au milieu d’amis. Joseph n’avait qu’à dire : « Je suis Joseph, fils de Jacob, fils de Matthan, fils d’Eléazar, fils d’Eliud », et la réponse immédiate a dû être : « Tu es le bienvenu. Que pouvons-nous faire pour vous ? Si Joseph avait un membre de sa famille élargie résidant dans le village, il était tenu par l’honneur de le recevoir. En outre, s’il n’avait pas de famille ou d’amis dans le village, en tant que membre de la célèbre maison de David, pour le « bien de David », aurait quand même été accueilli dans presque toutes les maisons du village. »
(Bible and Spade, vol. 20, n° 4, 2007).
D’autre part, la disposition des maisons palestiniennes antiques (même jusqu’à aujourd’hui) donne un sens à toute l’histoire. Comme l’explique Bailey dans son livre Jesus Through Middle Eastern Eyes (SPCK, 2008), la plupart des familles vivaient dans une maison d’une seule pièce, avec un compartiment inférieur pour faire rentrer les animaux la nuit, et soit une pièce à l’arrière pour les visiteurs, soit un espace sur le toit. L’espace de vie de la famille comportait généralement des creux dans le sol, remplis de foin, dans la zone de vie, où les animaux se nourrissaient.
Cette image, tirée de l’ouvrage de Bailey (p.33) montre la disposition d’une maison de village typique en Palestine avec une pièce principale où la famille aurait vécu (« Family Living Room », dans ce schéma). Elle montre également un espace inférieur pour abriter les animaux la nuit (« Stable ») et une chambre d’amis séparée (« Guest Room »).
Ce mode de vie dans une seule pièce avec des animaux dans la maison la nuit est évident à plusieurs endroits dans les évangiles. En Matthieu 5.15, Jésus déclare : « on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais on la met sur le chandelier, et elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison. » Cela n’a aucun sens, sauf si tout le monde vit dans la même pièce. Dans le récit de Luc où Jésus guérit une femme le jour du sabbat (Luc 13.10-17), il dit : « Chacun de vous, le jour du sabbat, ne détache-t-il pas son bœuf ou son âne de la mangeoire [même mot que Luc 2.7] et ne le conduit-il pas dehors pour lui donner à boire ? ». Il est intéressant de noter qu’aucun des détracteurs de Jésus ne répond : » Non, je ne touche pas aux animaux le jour du sabbat « , car ils devaient tous conduire leurs animaux hors de la maison.
Mais alors, que signifie donc le fait de ne pas avoir « de place » dans une kataluma ? Cela signifie que beaucoup, comme Joseph et Marie, ont voyagé jusqu’à Bethléem, et que la chambre d’amis de la famille est déjà pleine, probablement avec d’autres parents arrivés plus tôt. Joseph et Marie doivent donc rester avec la famille elle-même, dans la pièce principale de la maison, et c’est là que Marie accouche. Les espaces remplis de foin, à l’extrémité inférieure de la maison, là où les animaux sont nourris, constituent l’endroit le plus naturel pour coucher le bébé.
L’idée qu’ils étaient dans une étable, loin des autres, seuls et exclus, est grammaticalement et culturellement invraisemblable. En fait, il est difficile d’être seul dans un tel contexte. Bailey fait écho à l’humour d’un ancien chercheur : « Quiconque a logé chez des paysans palestiniens sait qu’en dépit de leur hospitalité, le manque d’intimité est indiciblement douloureux. Impossible d’avoir une chambre pour soi, et on n’est jamais seul, ni le jour ni la nuit. Moi-même, je me suis souvent enfui en pleine nature, simplement pour pouvoir réfléchir » (Bible and Spade, 20/4).
Pourquoi la théorie de l’étable demeure-t-elle si vivace ?
Une dernière question demeure. Cette compréhension éclairée et convaincante de l’histoire existe, même dans les milieux universitaires occidentaux, depuis très, très longtemps. Alors pourquoi l’interprétation traditionnelle, erronée, persiste-t-elle jusqu’à aujourd’hui ?
Deux causes principales, à mes yeux. Tout d’abord, il nous est très difficile de lire l’histoire dans son propre contexte culturel – nous imposons constamment nos propres hypothèses sur ce que nous lisons. Où gardez-vous les animaux ? Et bien, si vous vivez en Occident, loin de la famille bien sûr (surtout si vous vivez dans un contexte urbain). C’est donc forcément là que Jésus a dû se trouver !
Deuxièmement, nous sous-estimons l’influence de la tradition sur notre lecture de l’Écriture. Dick France explore cette question, ainsi que d’autres aspects de la prédication des récits de l’enfance, dans We Proclaim the Word of Life (IVP, 2013). Il rapporte sa propre expérience : « Défendre cette compréhension revient à couper l’herbe sous le pied non seulement de nombreux chants de Noël familiers (« une humble étable » ; « une étable pleine de courants d’air avec une porte ouverte »), mais aussi d’un thème récurrent des prédications de Noël : le Fils de Dieu mis au ban de la société humaine, Jésus le réfugié. »
Alors, cela vaut-il la peine de questionner les présupposés populaires ? Oui, si vous pensez que ce que vos auditeurs ont besoin d’entendre, c’est la vraie histoire telle que rapportée dans les Écritures plutôt que la tradition digne d’une pièce de théâtre pour enfants. France poursuit : « Le problème de l’étable est qu’elle éloigne Jésus de nous. Elle place même sa naissance dans un cadre singulier, d’une certaine manière aussi éloigné de la vie que s’il était né dans le palais de César. Mais le message de l’incarnation est que Jésus est l’un des nôtres. Il est venu pour être ce que nous sommes, et le fait que sa naissance ait eu lieu dans une maison palestinienne normale, bondée, chaleureuse et accueillante, comme beaucoup d’autres garçons juifs de son époque, s’inscrit bien dans cette perspective théologique. »
La lecture « traditionnelle » de l’étable déforme l’histoire de la naissance de Jésus et étouffe le message central de Noël : Jésus n’est pas né dans un endroit que nous pouvons visiter une fois par an, puis oublier. Au contraire, il vient au centre de la vie humaine. Là, il est difficile l’ignorer ou de le ranger avec les décorations en janvier.
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